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«La crise de la dette US a dévoilé l'aisance financière artificielle de l'Algérie»
L'expert financier Mourad Goumiri :
Publié dans La Tribune le 13 - 08 - 2011


Entretien réalisé par
Bahia Aliouche
La Tribune : Quelle lecture faites-vous de la crise de la dette américaine? Et quels sont les facteurs déclencheurs de cette crise?
Dr Mourad Goumiri : Cette crise de la dette américaine est née pratiquement en 1971, lorsque le président Nixon décida de suspendre sine die la convertibilité du dollar US en or ! Il mettait à mort les accords de Bretton-woods de 1944, qui prévoyaient explicitement la convertibilité-or du dollar américain (le dollar a été défini à 32 $ l'once d'or fin) pour lui consacrer le statut de monnaie internationale de réserve (la vitalité de l'économie américaine d'après-guerre avait fait dire au secrétaire d'Etat au Trésor, M. White, cette phrase, désormais célèbre, que le dollar US était «as good as gold» ! L'explication politique de cet acte doit être recherchée dans le coût exorbitant de la guerre du Viêt Nam qui n'en finissait pas et qui déjà saignait à blanc le budget américain, alourdissant dangereusement la dette publique des USA. Le président Nixon déclarait, à cette époque, que son pays «se battait au Viêt Nam pour l'ensemble du monde libre et contre les dictatures communistes». Il fallait donc en déduire qu'il considérait que tout l'Occident et ses alliés, devaient participer au financement de cette guerre ! Le résultat ne s'est pas fait attendre puisque, suite à cette décision, une période de fluctuations généralisées, des autres devises, allait se traduire par une dévaluation substantielle du dollar américain (de l'ordre de 20% en moyenne) et une appréciation différenciée des autres monnaies convertibles et notamment le yen, le DM, la livre sterling, le franc français et suisse… entraînant de très importants gains de productivité artificielle à l'économie américaine, mise à mal par l'arrivée, sur le marché mondial, des biens et services des «dragons asiatiques» et des Européens.Les stocks de dollars, détenus en réserves, par tous les autres pays du monde, se sont également, au même moment, dépréciés du niveau de la dévaluation, mutualisant par cette décision monétaire historique, le coût des guerres américaines et le financement des déficits budgétaires par l'émission d'obligations émises par le Trésor US et notamment le recyclage des pétrodollars (nom donné aux excédents de dollars générés par les revalorisations des cours de pétrole, réinvestis dans l'économie mondiale et notamment celle américaine). Ces derniers déferlent sur les marchés mondiaux en quête d'opportunités de placement et seront recyclés pour booster l'économie mondiale, durant les différents «chocs pétroliers» enregistrés dans les années 70, 80 et 90. Les USA allèrent plus loin pour financer la guerre du Golfe puisqu'ils envoyèrent des factures aux différents pays alliés et notamment à ceux du Golfe ! Pour ce qui concerne les guerres d'Afghanistan et celle d'Irak, ils entraînèrent avec eux, toutes les armées alliés (à travers l'Otan) et celles de certains pays arabes, pour mutualiser les dépenses.Les capacités financières publiques américaines n'étant pas inépuisables et malgré les trois AAA attribués par les agences de notation, les emprunts sur le marché obligataire, pratiqués par ce pays pour financer ses déficits abyssaux, vont poser la question de la capacité, non pas de l'économie américaine de résorber son déficit mais de la volonté politique des institutions américaines à trouver des compromis financiers suffisamment viables pour traiter ce déficit (un plafond de déficit de 14 300 milliards de dollars US a été fixé par le Sénat à majorité républicaine). C'est le spectacle politique minable auquel nous avons eu droit la semaine dernière, durant les rounds de négociation et qui devait nécessairement se terminer avant le 2 août dernier, pour des raisons de remboursement d'emprunts arrivés à maturité à cette date. Par cette inertie politique américaine, l'économie mondiale a été tenue en otage et a failli sombrer dans une récession aux conséquences dramatiques pour le monde entier. Des tractations de bas étages, entre démocrates et républicains, non pas pour sauver l'économie américaine et partant celle mondiale mais pour des raisons bassement électoralistes, à l'approche des présidentielles de 2012 !
La crise de la dette américaine est-elle liée à celle des subprimes de 2008 ?
Ce que l'on appelle la crise des subprimes s'apparente beaucoup plus à un dérèglement du système monétaire et financier américain et par voie de conséquence à celui du monde entier, via les canaux de propagation, construits par la mondialisation. En effet, les subprimes sont des produits dérivés des crédits immobiliers qui ont cette particularité de s'adresser à des consommateurs qui n'auraient jamais pu obtenir des crédits dans les conditions normales du marché. Cette situation n'a donc été rendue possible qu'avec la bénédiction du président G. W. Bush, dans la perspective de sa réélection, dans la mesure où les agences publiques de garantie des crédits immobiliers des banques (Freddy Mag et Fannie Mea) ont encouragé cette dynamique qui va créer une énorme «bulle financière» qui au moment de sa rupture provoquera un krach financier mondial, par l'effet domino et son onde de propagation. A cet endroit également, les autorités monétaires de tous les pays ont dû utiliser les deniers des contribuables pour stopper l'extension de la crise et sauver ce qui été encore possible. Il est clair que les interférences politiciennes sont à l'origine des perturbations d'un marché porteur… ne dit-on pas que «lorsque le bâtiment va tout va». La crise des subprimes, donc, si elle n'est pas directement responsable de la crise actuelle de la dette publique, va cependant y contribuer, dans la mesure où le Trésor américain a dû éponger une certaine partie de pertes subies. Mais c'est surtout la crédibilité, en termes de gouvernance du gouvernement américain, qui a été très sérieusement entamée, tant au niveau interne (la montée des Tea Party) qu'au niveau des bailleurs de fonds internationaux (critiques très sévères de la Chine).
Quelles sont les conséquences de la perte de la triple «A» sur l'économie américaine et mondiale ?
Au niveau financier et à court terme, il n'y a rien à attendre de la notation attribuée à l'économie américaine par S&P (Moody's et Fitch n'ont pas dégradé) la faisant passer du triple AAA à AA+ qui, faut-il le rappeler, reste une note excellente. Faut-il apporter une preuve ? Les marchés obligataires n'ont pas réagi et les taux restent stables ! Cependant, au niveau psychologique (ce facteur joue énormément dans les mouvements boursiers erratiques et de panique) et sur le moyen et long termes, il est certain que cette dépréciation de la note américaine va avoir une répercussion sur les investisseurs traditionnels dans les obligations américaines, qui vont vouloir sécuriser leur portefeuille par la diversification et donc investir dans d'autres valeurs refuges (l'once de l'or va certainement vite franchir la barre fétiche de 2.000 $ US !) ce qui va avoir des conséquences sur le niveau général des taux d'intérêts. Dès lors, l'économie américaine sera scrutée sous tous les angles, par tous les experts mondiaux et les politiques économiques et financières mises en œuvre par n'importe quel gouvernement, démocrate ou républicain, seront jugées qu'en fonction d'un seul critère, soit celui du retour à la notation triple AAA initiale, soit, au contraire, celui d'une détérioration plus importante comme un B par exemple ; et dans ces conditions, une récession mondiale durable est à craindre, avec toutes les restructurations économiques et sociales planétaires nécessaires en pareils cas.
Quels sont les effets dévastateurs que pourrait avoir cette crise sur la finance algérienne ?
En termes de placement de nos réserves de change et à court terme, je ne vois pas d'effets dévastateurs supérieurs à ceux existants déjà… Mais vous avez certainement remarqué que, depuis quelques jours, les cours du pétrole dégringolent sur toutes les places boursières (le baril de pétrole a perdu quelque 20 $ US en une semaine), ce qui signifie, pour un pays aussi vulnérable que l'Algérie, que ce pouvoir ne pourra plus cacher son inefficacité systémique, voire génétique, par l'aisance financière artificielle induite uniquement par la hausse des prix des hydrocarbures. Avec la politique irresponsable d'augmentation tous azimuts des salaires, sans gains de productivité mais seulement pour calmer un front social en ébullition et attisé par le «printemps arabe», il est clair que les conditions sont réunies, à court terme, pour une remise en cause violente et incontrôlable du pouvoir. Reste l'étincelle spontanée ou programmée…
Pour l'Algérie, quels sont les enseignements à tirer de cette crise ?
Rien ne vaut plus qu'une gestion rigoureuse des ressources rares et leur allocation optimale dans des projets d'investissements productifs, en direction des catégories les plus fragiles de la population mais surtout à l'abri de la corruption et de la prédation.
La création d'un fonds souverain algérien est-elle d'actualité ?
Tous les instruments monétaires et financiers méritent d'être explorés, à condition qu'ils entrent dans le cadre d'une stratégie de développement économique et social durable, cohérente en direction de l'intérêt général qui, préalablement, a emporté un consensus politique, le plus large possible. En outre, il est bien évident que cet outil (le fonds, souverain ou d'autres) doit avoir pour objectif de répondre à des besoins de court, moyen et long termes et pourquoi pas pour les autres générations. A la limite, à quoi bon pomper les hydrocarbures, les transformer en dollars US, pour ensuite les placer en bons du Trésor américain ou en capitaux à risque ? Ne vaut-il pas mieux extraire ce que de besoin et laisser le reste sous terre, dans notre pays ? A cet endroit également, force est de constater que la volonté prédatrice et corruptive du pouvoir l'emporte sur toutes les autres considérations !


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