En 1944, Lord John Menard Keynes, baron de TiIton, proposait déjà la création d'une monnaie supranationale (baptisée le bancor), gagée sur l'or et émise par une institution monétaire internationale unique (le FMI), en fonction de critères objectifs et des besoins de l'économie mondiale. En 1961, la réforme du système monétaire international proposée par R. Triffin (1) devait donner à une institution financière internationale (le FMI) les moyens nécessaires pour satisfaire les besoins de liquidités pour de développement de l'économie mondiale par « l'internationalisation » des réserves de change. Très proche de celle de Keynes d'il y a 17 ans, cette proposition avait encore essuyé une fin de non-recevoir de la part des USA. La décision du président Nixon de « suspendre temporairement la convertibilité du dollar en or et les autres actifs de réserve », du 15 août 1971, fait voler en éclats le SMI signé à Bretton Woods des parités fixes et de la convertibilité du dollar en or (2). Une période de flottement de toutes les principales monnaies (à l'exception du franc français) va induire une réévaluation de toutes les principales monnaies de 9 et 15% et les prix de l'or vont se stabiliser entre 42 et 43 $ l'once, au début des années 70. Afin de donner plus de flexibilité aux différents pays, la marge de fluctuation des monnaies est élargie de 1 à 2,5% de part et d'autre de la parité. L'inconvertibilité temporaire du dollar est prolongée sine die et le comité des « Vingt » sera chargé de trouver des « solutions de convergences » entre les USA, l'Europe et le Japon. Des négociations intenses vont s'ouvrir sur des points fondamentaux, comme le problème de la convertibilité du dollar en or et sa place centrale dans le système, les parités et les procédures d'ajustement (entre pays excédentaires et ceux déficitaires), le rôle et la place du DTS. C'est ainsi qu'un système hybride et évolutif de taux de change flottants accompagné des nouvelles monnaies de réserves (le DTS et le marché des euromonnaies) va voir le jour. Les accords de Kingston (Jamaïque), signés en 1976 par 77 pays, mettent fin à plus de quinze années de négociations. Les aménagements apportés sont un compromis qui ne tranche pas les problèmes de fond, tels que la place centrale du dollar US dans le SMI, les mécanismes d'ajustement quasi automatiques des déficits de la balance des paiements par la variation des taux de change, les flux des capitaux spéculatifs qui traversent sans contrôle efficace l'économie mondiale (Hedges funds), la mise sur les marchés mondiaux de produits financiers non fiables, consacrés par des modèles mathématiques douteux et des organismes de contrôle complaisants... Seule la mise en œuvre d'un système de change flexible est retenue. Dès lors, la catastrophe financière est programmée, elle n'attend que le moment propice pour que la bulle financière n'explose, induisant la récession au niveau mondial. En effet, seule l'augmentation des ressources du FMI ont été discutées et portées à 1100 milliards de US$ (750 milliards apportés par les pays membres, 250 milliards en émission de DTS et 100 milliards de vente d'or). Les pays qui tirent de l'activité boursière d'énormes bénéfices et un volume d'emplois conséquent (USA, UK, Japon) n'ont pas accepté de remettre en cause les fondements de cette activité financière lucrative, à savoir l'anticipation que certains appellent un peu trop vite la spéculation. Tout le débat est donc confiné à la fixation des limites, au contrôle de cette activité et aux sanctions en cas de dépassements. Dès lors, pour ces pays, le débat doit se cantonner à la relance de la machine économique de manière à créer de l'emploi et permettre à la consommation des ménages de fouetter la demande (le FMI devra, d'ailleurs, consacrer 250 milliards de $US à la relance du commerce mondial). Comme l'économie américaine est, par définition, la locomotive de l'économie mondiale, il est évident que tout doit être mis en œuvre pour que cette dernière sorte de la récession qui la frappe durement (des millions de chômeurs) par deux actions structurelles concomitantes, à savoir le renflouement des entreprises en difficulté, en rendant disponible le financement et en remplissant leur carnet de commandes d'une part, et d'autre part, en procédant à une restructuration-assainissement de l'appareil économique de production pour l'amener à s'orienter vers les marchés des TIC et les créneaux porteurs du secteur tertiaire de dernière génération. De l'autre côté, les tenants de la réforme du système capitaliste international, et notamment dans sa branche monétaire et financière, rappellent que les crises prennent naissance la plupart du temps dans ces pays et qu'elles se propagent dans le reste du monde, mutualisant les dommages générés par la crise et imposant une répartition discriminatoire et inégalitaire des sacrifices à consentir. Ces pays considèrent qu'un encadrement des marchés boursiers et financiers doit être de rigueur, de même que les institutions monétaires et financières et les espaces qu'elles empruntent, en d'autres termes les paradis fiscaux et de blanchiment. Haro sur le baudet, les paradis fiscaux sont stigmatisés, non pas pour leur pratique en tant que telle, mais parce qu'ils induisent des pertes fiscales substantielles pour des pays au profit d'autres. En outre, ils considèrent qu'une approche éthique du mode de fonctionnement du capitalisme est à introduire dans l'activité économique internationale, de manière à rendre morale un certain nombre de pratiques qui scandalisent les opinions publiques des divers pays. Un consensus a cependant émergé de cette réunion, il s'agit du renoncement aux protectionnismes, toutefois avec certaines nuances, de manière à contenir les mouvements politiques racistes, xénophobes et populistes, qui se manifestent toujours dans ce genre de situations. Le protectionnisme remettrait en cause les différents accords et traités multilatéraux ou régionaux ou internationaux (OMC, PAC, AELE, ALENA...) signés durant les cinquante dernières années, ce qui aggraverait la crise actuelle. Les opinions publiques ne comprendraient pas que cette rencontre se termine par des déclarations de principe ou encore par un constat d'échec induit par des intérêts égoïstes contradictoires, plongeant des millions de personnes dans la précarité, sans espoir à un retour à l'emploi. Cette sombre perspective doit être compensée par l'illusion que la crise économique sera maîtrisée avec le moins de dégâts sociaux possible. Une ébullition sociale (qui frise l'émeute parfois) se manifeste dans certains pays et menace la paix sociale et les équilibres politiques précaires dans les pays démocratiques. Dans les dictatures, des changements violents de pouvoir verront le jour après que des jacqueries sanglantes les exigeront. Les pays les plus vulnérables aux effets directs et indirects de la crise économique risquent de connaître des cycles de famine moyenâgeuse, qui emporteront des centaines de milliers de vies, avant même que la solidarité internationale ne s'organise et que les dons n'atteignent leur destination finale. Autant dire que pour ces pays, les perspectives de sortie de la misère sont quasi nulles et qu'ils continueront éternellement de dépendre de la charité du reste du monde. En pour les plus nantis à forts excédents de réserves de change, ils réclament, de vive voix ou sous le paletot, qu'il faut revoir les accords de Bretton Woods et les revisiter de fond en comble de manière à assurer leurs avoirs. La Chine notamment appelle à la remise en cause du statut du dollar US et en particulier de son rôle de monnaie de réserve internationale, que lui a consacré le traité signé en 1944. Sa position est extrêmement sensible dans la mesure où, avec d'autres, elle transforme une énorme partie de ses réserves de change en bons du Trésor américain libellés en dollar US. Cette situation transforme la Chine communiste en un pays qui finance le déficit budgétaire de l'Amérique capitaliste qui était qualifiée, il n'y a pas si longtemps, d'impérialiste. Mao au secours de l'oncle Sam... Un retour plus prononcé aux droits de tirage spéciaux (DTS) comme monnaie de réserve est donc proposé en guise de première mesure salutaire, pour un retour de confiance, en attendant de remettre sur la table le problème de la monnaie internationale tel que discuté, il y a 65 ans, entre l'Américain White et l'Anglais Lord J.M. Keynes, qui s'est invité cette semaine à Londres. M. G. : * Maître des conférences (1) R.Triffin : L'or et la crise du dollar. Edition PUF. Paris. 1963. (2) Voir notre article intitulé « Quelles réformes du SMI » paru dans El Watan de 2009.