Photo : Sahel Par Fodhil Belloul Dimanche soir, les abords de l'hôtel Hilton avaient, dès 21h, des allures de marée automobile. Et l'on pouvait apercevoir à l'entrée de Keïmatkoum chez Djeezy converger cette marée et finalement aboutir dans le grand parking où se dresse la kheïma. Pas de doute, cette foule était le signe d'un grand rendez-vous musical. Et pour cause, la soirée allait être animée par une des valeurs les plus sûres de la musique algérienne contemporaine, Amazigh Kateb. Déjà, bien avant d'arriver au grand chapiteau blanc, on pouvait entendre crier l'assistance, à tel point que l'on pouvait se demander si l'heure du spectacle n'avait pas été avancée. Après avoir passé le service d'ordre, très alerte et il faut le comprendre, nous découvrons avec soulagement une kheïma aux allures de stade de football. Ni tables ni chaises, seulement une grande étendue de jeunes et moins jeunes, debout, les yeux rivés sur l'écran géant, situé à l'arrière scène, et… la tête de Lionel Messi ! Les organisateurs ont eu la bonne idée de diffuser le Clasico FC Barcelone-Real Madrid, autre grand rendez-vous de ce dimanche, télévisuel cette fois-ci. Une manière bien intelligente de faire patienter l'assistance. Cette dernière, sans doute déjà chauffée par le match, commence à entamer des slogans en tous genres, comme des appels de ralliement. On se croirait presque en plein 12 avril, lors de la marche des étudiants à Alger. Il était un peu plus de 23h lorsque les musiciens font leur entrée, premiers applaudissements. P'tit Moh au Mandole, qu'on ne saurait plus présenter tant l'artiste a marqué les esprits depuis ces débuts aux côtés de Amar Ezzahi dans les années 80, et qui continue aujourd'hui, en plus de partager le parcours d'Amazigh Kateb, de produire une musique des plus originales. Il y avait aussi, comme on le voit depuis le début de l'aventure solo d'Amazigh, un DJ aux platines, un batteur, un drabki, un guitariste et un bassiste. Premières notes d'échauffement pendant que les cris des spectateurs atteignent leur point d'orgue. 23h20, la star entre enfin. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que le spectacle commence sous les meilleurs augures. Paroles mémorables du père dans la voix du fils, istikhbar : «Bonjour ma vie et vous mes désespoirs. Me revoici au fossé où naquit ma misère. Voici le coin de boue ou dormait mon front fier…». Entame parfaitement réussie pour l'artiste, puisqu'il exécute ce titre aux sonorités chaâbi avec brio, offrant même aux présents une version plus rythmée, plus festive que sur l'album. Le jeu des lumières s'accélère lorsqu'Amazigh poursuit dans un zid chwia endiablé, les mains des spectateurs battent la mesure dans un tourbillon vocal. Applaudissements et cris de joie n'ont pas encore cessé que le chanteur attaque un autre titre phare de son album solo, peut-être la chanson dont le texte est le plus significatif «El mossiba», conte ironique d'une Algérie en proie à toutes les convoitises «kan ya makan fi djadid ezzaman, wahed el makan felkharita, fih chaâl men aâllita ou berzami taht el balto» (Il était une fois dans un temps très nouveau, un pays sur la carte, les gros ventres n'y manquent pas, et les liasses sont sous le manteau). On comprend dès lors pourquoi la jeune génération adule autant l'artiste. Ce dernier, armé de son karkabou cette fois, enchaîne sur A'mral Guerba servi dans une fusion de styles rock, chawi et gnawi très efficace. Plongée dans les racines musicales d'Amazigh Kateb, avec un hypnotique «Khalti Baya» tout droit sorti du patrimoine africain. La transe atteint son comble. D'ailleurs, il suffit de regarder au premier rang pour apercevoir toutes ces mains dressées vers le ciel dans une gestuelle propre à cette tradition, et de voir, à mesure que le rythme s'accélère, les chevelures se lâcher dans un tourbillon de djdib. Les jeunes filles étaient, ce soir-là, aux premières loges. Amazigh Kateb, comme à son habitude, aime parler à son public, le faire participer au spectacle. C'est donc poings levés que tout le monde hurle «hay mazalni haya, mazal maranich hayawan» (vivant, je le suis toujours, je ne suis pas encore un animal), prélude au célèbre «nvoti'w madamatte» (nous voterons pour les belles jeunes filles). Un satyre politique en langage populaire comme seul Amazigh sait en écrire. Le spectacle se poursuit avec d'autres titres de l'album marché noir tels que «i wanna Tcheefly», titre difficile à traduire ici, ou encore «chante avec moi», complainte africaine au gumbri. Dernière surprise avant de finir, Amazigh reprend quelques titres de son regretté groupe Gnawa Diffusion, «Douga douga» mais surtout la chanson qui l'avait fait connaître «Ombre d'elle», poème repris, on s'en doutait un peu, en chœur. La nuit était déjà très avancée lorsque les spectateurs ont commencé à quitter la kheïma, avec bien sûr, la conviction que cette soirée valait bien une insomnie.