Résiduel, sporadique ou suicidaire, le terrorisme islamiste est encore là, même si on a tendance à l'oublier ou à l'omettre, par amnésie ou par amnistie. Il s'arrange encore pour se faire entendre. A coups de bombes et de zombies suicidaires. Pas loin d'hier, Bordj Ménaeil, Thénia et Tizi Ouzou, plus récemment, Maâtkas, Béni Douala, Thénia de nouveau et Bouira, même si dans cette dernière ville, la prompte vigilance des services de sécurité a évité le pire. Et demain est incertain dans une région où les amants de l'apocalypse en armes ont fait souche. La Kabylie, pour des raisons propres à la géographie, à la nature d'une guerre asymétrique et à la connexion entre terrorisme et banditisme portant souvent la même barbe, est un bubon sécuritaire. Ainsi, la Kabylie, base historique de l'ex-GSPC et base arrière d'AQMI, la franchise d'Al Qaïda en Afrique subsaharienne, est un condensé de violence protéiforme. C'est le creuset des grands problèmes du pays, soit un parfait échantillon de la crise et de l'échec algériens. Un cas d'école. La malvie, les questions économiques et sociales, le particularisme culturel, adossé désormais à un indépendantisme rampant et, par-dessus tout, l'équation démocratique, expliquent mieux encore la prégnance du terrorisme en ce territoire. Thermomètre de cette permanence insécuritaire, le maquis de Sid-Ali Bounab. Zone enclavée et bois dense et escarpé, à cheval sur les wilayas de Boumerdès, Tizi Ouzou et Bouira, il a été ratissé, patrouillé, quadrillé et bombardé des dizaines de fois depuis 2000. Ces campagnes intensives, impliquant des forces interarmes et des unités spéciales sont qualifiées de «grande envergure» et, à chaque fois, de plus vaste amplitude. Malgré la fréquence des opérations et les moyens lourds déployés, avec couverture aérienne et préparation d'artillerie, ce réduit sylvicole n'a pas pu être pacifié. Plus qu'un souci opérationnel, il pose à l'état-major de l'ANP, en charge de la lutte antiterroriste, un problème d'ordre stratégique. Neutraliser ce bastion forestier, à l'image des maquis de Mizrana, Bounaâmane et des monts de l'Akfadou, c'est, en effet, y asphyxier le terrorisme en le privant de ses poumons. Ce que l'armée coloniale française avait d'ailleurs bien compris lorsqu'elle a lancé en 1959, mais en vain, l'opération «Jumelles» appuyée par 60 000 hommes. Même si les maquisards de l'ALN ne sont en rien comparables aux séides sanguinaires d'AQMI, le parallèle éclaire cependant le casse-tête. La complexité militaire d'hier est toujours d'actualité et les stratèges de l'ANP en mesurent, à chaque fois, l'étendue. L'expérience aidant, armée et services de sécurité ont réalisé des progrès indéniables en appropriant moyens et doctrine de guerre à la menace terroriste dans la région. Des unités spéciales, légères, mobiles et adaptées à la chasse à l'homme y interviennent alors qu'un intérêt croissant est porté au renseignement opérationnel et préventif. La traque des cellules de kamikazes et, en même temps, des réseaux de soutien et de recrutement, est tout aussi prioritaire. La lutte contre ces réseaux est d'autant moins simple que ces réseaux ont vocation à se renouveler et à engager des éléments nouveaux, qui ne sont pas toujours logés dans les fichiers. Ce travail soutenu a toutefois réduit l'intensité et l'étendue de la menace. Il a permis de démanteler des groupes, d'en désarticuler d'autres, de liquider des chefs plus ou moins importants et, du même coup, d'annihiler des attentats suicide et des attaques à la bombe. C'est beaucoup même si ce n'est jamais assez pour crever l'œil du cyclope terroriste. Alors, même affaiblie, la menace perdure. Elle se redéploie sans cesse dans une région où la population est pourtant hostile aux katibate terroristes dont les chefs sont parfois des autochtones, tel Si Mohamed Ouramdane, alias El Khechkhach de Béni Douala. Situation paradoxale d'un terrorisme privé pourtant du soutien d'une population qui lui est foncièrement hostile. Victime du terrorisme au même titre que les militaires, les policiers et les représentants de l'Administration, la population ne collabore pas pour autant, de manière décisive, dans le domaine crucial du renseignement. Là est la question. Là réside aussi le sophisme sécuritaire kabyle. Question et paradoxe qui expriment une certaine défiance à l'égard de l'appareil sécuritaire. L'une et l'autre posent par extension le problème de la légitimité politique du régime lui-même. Et là, c'est une tout autre question. N. K.