Avant 1969, il n'existait pas en Libye de structures partisanes au sens moderne du terme. Des forums et clubs, qui sous couvert d'activités culturelles, sportives et cultuelles ont des objectifs politiques notamment l'indépendance de la Libye. Après l'instauration de la Monarchie, ces proto-partis ont été interdits pour essayer de reprendre entre 1969 et 1973. Sous Kadhafi, tout citoyen qui exerce la politique dans l'opposition est passible de la peine de mort. Cette épée de Damoclès a verrouillé la vie politique en Libye mais n'a pas empêché des organisations clandestines d'exister, sans pour autant avoir un réel enracinement. Ces partis, en majorité nationalistes, arabistes, islamistes et monarchistes ont surtout évolué à l'étranger. En théorie, l'après Kadhafi, qui a déjà commencé, s'annonce, selon les déclarations de certains membres du CNT, démocratique dans un Etat de droit. Cette perspective aurait été possible et viable s'il y avait consens au sein des forces politiques en présence et si le CNT lui-même était homogène. C'est la réalité sur le terrain qui propose des indices sur les perspectives politiques en Libye et sur les risques sécuritaires dans les régions du Maghreb et du Sahel, y compris en Egypte où les velléités des islamistes radicaux ne sont plus un secret. Selon un témoignage de Sara Daniel, reporter du magazine Le Nouvel Observateur, un émirat islamique est en formation en Cyrénaïque où les djihadiste constituent une part non négligeable des bataillons armés par l'Otan. Pour sa part, L'Express rapporte ce qui est déjà connu en citant Denis Bouchard, ancien ambassadeur de France en Jordanie, selon lequel : «d'après des informations recueillies en Irak par les Américains en 2007, les Libyens représentaient, après les Saoudiens, le plus fort contingent des jihadistes recrutés par Al-Qaïda, et qui ont, ensuite, rejoint Ben Laden en Afghanistan. Il y a une filière libyenne vers Al-Qaïda». Le même diplomate ajoute que «l'Est du pays a toujours été sous influence des Frères musulmans». En tout état de cause, les islamistes radicaux, contrairement aux autres forces politiques libyennes, ont toujours activé en Libye et ont réussi à tisser des réseaux de sympathisants. La situation de non-Etat à l'est de la Libye, a permis aux islamistes de se développer, d'activer leurs réseaux dormants et de s'imposer comme la principale force au sein de la rébellion et, certainement, au sein du CNT, même si ce sont des figures modérées qui sont mises au devant de la scène. L'Express rapporte les propos de Pascal Le Pautremat, spécialiste des questions de défense et du monde arabe, selon lequel : «il y a des filières d'approvisionnement en armements venant d'Egypte, via les Frères musulmans, avec un soutien de gens du Hezbollah, et, maintenant, des gens du Hamas qui viennent acheter des armes dans cette zone». Denis Bouchard estime que «le risque, c'est que le vide politique qui s'est créé dans l'Est du pays ne soit comblé par les jihadistes. On l'a vu en Irak, on le voit au Yémen». Le Figaro quant à lui, livre les déclarations du responsable des médias de l'AQMI, Salah Abou Mohamed, faites à Echarq El Awsat, qui affirme que l'AQMI dispose d'émirats à Benghazi, Al-Bayda, Al-Marj, Shihat et surtout à Dernah. Il ajoute : «Nous sommes spécialement présents à Dernah, où sheikh Abdul Hakim est notre émir et où il a formé –aux côtés d'autres frères – un conseil islamique pour gouverner la ville en vertu de la sharia (la loi islamique)». Le Figaro est formel : «à l'est de la Libye, les villes d'implantation d'Al-Qaida correspondent aux principaux fiefs de la rébellion, appuyée par la coalition occidentale. Le responsable d'Al-Qaida confirme également que l'organisation terroriste a acquis récemment des armes, «destinées à protéger nos combattants et à défendre la bannière de l'islam». Des dignitaires algériens et tchadiens s'étaient inquiétés de tels transferts d'armes à Al-Qaida» Enfin, un rapport élaboré par une mission d'experts en Libye, organisée par le Centre international de recherche et d'études sur le terrorisme et d'aide aux victimes du terrorisme (CIRET-AVT), le Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), avec le soutien du Forum pour la paix en Méditerranée, confirme l'omniprésence des islamistes liés à l'AQMI. Selon les conclusions de ce rapport : «les Occidentaux sont en train de préparer le terrain, à coup de raids coûteux, à un régime islamiste plus antioccidental que celui de Kadhafi. La délégation, parmi lesquels on retrouve le directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), Eric Denécé, Yves Bonnet, ancien patron du contre-espionnage français (DST) et Saïda Benhabylès (Algérie), a séjourné à Tripoli et en Tripolitaine (du 31 mars au 6 avril), puis à Benghazi et en Cyrénaïque (du 19 au 25 avril). D'après ce rapport, le caractère spontané de la révolte en Libye «est mis en doute, ses visées démocratiques aussi». Le rapport insiste très lourdement sur le risque d'une prise du pouvoir par «l'islamisme intégriste». Pour cette commission le Conseil national de Transition (CNT), pratiquement adoubé «représentant légitime» du peuple libyen suscite plus que de la méfiance chez les experts en question. Il est constitué, selon eux, d'un attelage hétéroclite où ceux qui sont considérés comme des «démocrates» ne sont qu'une infime minorité. Ils sont la vitrine d'un regroupement de forces et d'intérêts disparates : des islamistes, y compris des groupes ayant des liens avec Al Qaïda, des monarchistes senousites tout aussi intégristes, des mafias locales et bien entendu des hauts dignitaires du régime de Kadhafi qui font défection à la 25ème heure. Ainsi, les perspectives de la Libye de l'après Kadhafi ne sont pas aussi prometteuses qu'on le laisse croire, aussi bien pour les Libyens qui aspirent à la stabilité et à la liberté que pour les régions du Maghreb et du Sahel qui tentent d'endiguer le risque terroriste. A. G.