Evoluant dans l'ombre de son aîné Léonard De Vinci et n'ayant pour seule consolation que son chef-d'œuvre la statue de David, Michelangelo di Lodovico Buonarroti Simoni, communément connu sous le nom de Michel-Ange, débarque à Istanbul sous l'invitation du grand Bayazid ou «l'ombre de Dieu sur terre» comme le surnomme tendrement l'auteur. Le futur grand peintre a une lourde tâche à accomplir celle de construire un pont pour le roi turc, un projet que même De Vinci n'a pas pu mener à bout. Plus qu'une œuvre architecturale, ce pont représente aux yeux de Michel-Ange l'accomplissement de son art, un moyen pour redorer son blason auprès du pape qui traîne à lui payer les frais pour la réalisation du tombeau papal. La rage au ventre, c'est sur un coup de tête propre au caractère colérique de Michel-Ange que ce dernier quitte Florence en direction de l'autre rive dans un royaume en pleine effervescence et où la réalité a tendance à se confondre avec la féerie. Plus qu'un simple récit historique ou une biographie du peintre de la renaissance, Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants paru chez les éditions Acte Sud et signé par l'auteur de génie Mathias Enard est un délicieux roman où les repères spatiotemporels n'ont plu lieu d'être. Il s'agit plutôt d'un regard affectueux et compréhensif vers un artiste talentueux qui peine à atteindre la gloire qu'il mérite. Mais d'un autre point de vue, ce roman est également une description minutieuse d'une autre époque, soulignant le parallèle entre deux sociétés, deux cultures, deux mondes complètement différents, celle d'une Rome renaissante et d'un Constantinople fait de pluralisme culturel. Mai 1506, Michel-Ange débarque chez les Turcs, jeune et orgueilleux et surtout au summum de son talent, ce voyage bouleversera sa vie à jamais. En compagnie de Mesihi, le jeune et beau poète avec lequel il partage une relation ambiguë, l'artiste part à la rencontre des bas-fonds de Constantinople où le vin et l'opium sont servis à volonté et la musique berce les craintes et la mélancolie du peintre. Mais au cœur de ce décor des mille et une nuit, une énorme conspiration se prépare, elle sera menée par une jeune danseuse andalouse, une belle Maure qui nourrit les fantasmes nocturnes de Michel-Ange tout en se préparant à le tuer. Sauvé de justesse d'une mort préméditée et certaine grâce à Mesihi, l'artiste ne se remettra guère de la mort de l'Andalouse qui continuera secrètement à hanter ses pensées. Le projet du pont pourtant approuvé par le roi ne verra malheureusement jamais le jour à cause d'un terrible tremblement de terre qui enterra à jamais l'incroyable périple d'un artiste et les débris d'une cité merveilleuse nommée Constantinople. Poétique à souhait, l'œuvre de Mathias Enard invite son lecteur à explorer de nouveaux horizons dans la littérature où les mots s'effacent pour laisser entrevoir un univers merveilleux et se fondre dans les tourments d'un personnage hors du commun celui de Michel-Ange. Rappelons que ce roman a valu à son auteur le prix Goncourt des lycéens en 2010 et cela juste après le succès de sa précédente œuvre Zone, prix inter 2009. Invité par l'agence algérienne pour le rayonnement culturel lors d'un cycle littéraire en partenariat avec Actes Sud, son roman est disponible au stand de l'AARC pour la 16ème édition du Salon international du livre d'Alger. W. S. Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, Mathias Enard (Editions Actes Sud), 153 pages. Lauréat du prix Goncourt des lycéens en 2010.