Dans Al Issra, l'Assomption Nocturne du Prophète sur al-Bouraq, la prodigieuse monture céleste, Allah dit que «quiconque prend le droit chemin, ne le prend que pour lui-même ; et quiconque s'égare, ne s'égare qu'à son propre détriment (17-15).» A Ses créatures pécheresses, le Miséricordieux dit aussi : «Si vous faites le bien, vous le faites pour vous-mêmes ; et si vous faites le mal, vous le faites pour vous [aussi] (17-7).» Et, dans son infinie mansuétude, Dieu situe ainsi la responsabilité dont chacun doit rendre compte le jour du Jugement dernier : «Lis ton écrit. Aujourd'hui, il te suffit d'être ton propre comptable (17-14).» Ces versets, prolégomènes de la Sagesse divine, me sont venus à l'esprit à la lecture d'une récente actualité sociale dominée par des expéditions vengeresses contre des estaminets, des restaurants et autres «lieux de débauche» alcoolisés, notamment sur la côte ouest d'Alger. Où il est question alors de comités de quartier, constitués en milices improvisées, excédées par le tapage nocturne post-ivresse éthylique. Où il s'agit également d'un dirigeant historique d'un ex-parti islamiste et d'un imam associé, tous deux chantres de la réconciliation nationale inachevée, menant une croisade islamiste contre les amateurs excessifs de pinard liquoreux, de malt et de houblon brassés. La chronique dit que les cheikhs El Hachemi Sahnouni et Hamadache Ziraoui, puisqu'il s'agit de ces deux chevaliers blancs de la morale islamique en péril, auraient signé un tract encourageant la répression de jeunes disciples de Bacchus. Bien entendu, l'ancien chef du mouvement Attakfir wal-Hidjra (exil et rédemption) et son alter ego moraliste ont démenti être les auteurs de cet appel à la purification dont des rédempteurs déchaînés se sont fait les bras armés. Agents autoproclamés de la paix sociale menacée, les deux cheikhs prétendent avoir, au contraire, contribué à l'apaisement des esprits dans ces contrées bachiques agitées. Nos deux sermonneurs reconnaissent toutefois avoir exhorté les habitants en colère dans certaines régions du pays à pétitionner en diable contre les buveurs qui faisaient le diable à quatre. Les deux cheikhs, qui prêchent donc tout et son contraire, encouragent finalement la population à créer un rapport de force favorable à la fermeture des débits de boissons alcoolisées dans un pays où l'Etat bénéficie pourtant d'une fiscalité sur les alcools de fabrication locale ou d'importation. Mais, avant d'être une question d'atteinte à la liberté de préférer la voie spiritueuse à la voie spirituelle, la campagne de nos deux imams sobres pose quand même un problème réel d'atteinte à la liberté des autres. La liberté sacrée de riverains, victimes de nuisances sonores et même plus de la part de buveurs compulsifs qui ont souvent le vin triste et l'ivresse agressive, voire violente. Evidemment, là où s'arrête la liberté de s'enivrer commence celle des anti-alcools et, surtout, intervient la responsabilité de l'Etat. Un Etat qui a un devoir de protection des habitants dérangés dans leur tranquillité ou menacés dans leur intégrité physique. Partout ailleurs, la consommation d'alcool est réglementée : on n'en vend pas à des mineurs et on ne sert plus des buveurs sérieusement éméchés ou qui montrent déjà des velléités d'agression. Les tenanciers permissifs ou laxistes, sont des fauteurs de troubles, alors on leur ferme boutique. C'est clair, comme un glaçon dans un double Chivas ! La question de la consommation raisonnable ainsi évacuée, demeure le problème, entier, de l'atteinte à la liberté de ceux qui boivent par addiction ou par pur épicurisme. En guerroyant contre l'alcool qui «a détruit la jeunesse algérienne et démoli sa foi islamique», les deux cheikhs, ennemis de l'eau de vie, de la dive bouteille et de la blonde finement pétillante, s'attaquent à la sainte liberté de ceux qui veulent être libres de choper une cirrhose de foie et d'aller librement en enfer après avoir pris quelques chopes de Mort Subite belge ou un «mortel» Coteaux de Mascara. C'est connu, un monde sans gouttes de vin et sans mousses de houblon n'a jamais existé. Même à la Mecque, et de tous temps, l'alcool, fût-ce à gouttelettes comptées, a toujours circulé, sous la gandoura, au nez et à la barbe de la police de la sobriété. Sous les Omeyades et les Abbassides, Damas et Baghdad ont eu leurs tavernes et leurs poètes du bonheur au fond du «verre qui tourne». Nos deux cheikhs ne doivent donc pas perdre leurs esprits. Se souvenir que ce sont les Abbassides qui ont inventé le verre à pied. Que dans le Coran, Dieu, dans son incommensurable bonté, a énoncé que «parmi les fruits, vous avez le palmier et la vigne d'où vous retirez une boisson enivrante et une nourriture agréable (16/66)» C'était avant qu'Il ne recommande aux Arabes, soiffards et un tantinet soûlards, «Ô croyants ! Ne priez point lorsque vous êtes ivres : attendez de pouvoir comprendre les paroles que vous prononcez (4/43).» Vertu de l'esprit sain et clémence du Saint-Esprit. N. K.