La martyre Fatima Bedar, jeune collégienne jetée avec les centaines d'Algériens dans la Seine lors des massacres du 17 octobre 1961 à Paris, a inspiré un bédéiste, Didier Daeninckx, qui, pour rendre hommage à la collégienne et à tous les martyrs de cette effroyable nuit, a produit Octobre noir. En accord avec l'auteur, Aïssa Derrouaz, responsable des éditions Libris qui ont publié la BD, projette de «placer» le livre dans les établissements éducatifs en France pour sortir des caricatures de la «colonisation positive». «C'est en effet le souhait de Aïssa Derrouaz, dont une partie du travail d'édition est tourné vers le jeune public, de proposer un ouvrage qui puisse s'installer dans les collèges, les lycées», a indiqué à l'APS l'auteur. A ses yeux, l'immense majorité des enseignants ne se reconnaît pas dans les caricatures de la «colonisation positive», dans les concepts «d'homme noir pas encore entré dans l'Histoire». «Il y a un combat à mener sur ce terrain, et les avancées sont possibles : la France accepte aujourd'hui de rendre les têtes maories entreposées dans ses musées alors qu'il y a trois ans, une ministre de la Culture considérait que ce n'étaient pas des restes humains mais des parties de collections patrimoniales ! Il existe également des dépouilles de martyrs nord-africains dans les réserves des musées français. Des cadavres dans les placards», a-t-il soutenu.A propos de sa BD, Didier Daeninckx dira qu'il a rencontré l'éditeur et il a proposé de s'inspirer «de la vie tragique de la jeune Fatima Bédar, tuée le 17 octobre 1961 et dont la raison réelle de sa disparition avait été masquée pendant près de 25 années». M. Derrouaz y a totalement adhéré, expliquera le bédéiste qui affirme que la BD est un moyen d'expression «à part entière». «Je pense sincèrement que certains albums ont autant de qualité littéraire (et quelquefois davantage) que les romans sur lesquels on place un bandeau ‘‘Prix Goncourt''», soutient-il, en ajoutant que les artistes ont cette particularité de «ne pas être soumis aux institutions». «Leur liberté de parole leur permet de dire ce que les gens n'osent pas encore formuler : De Boris Vian écrivant la chanson ‘‘Le déserteur'' à Jean Genêt publiant ‘‘Les Paravents'' en passant par Kateb Yacine rendant hommage, en temps réel, aux victimes du crime d'Etat du 17 octobre 1961.»Dans la préface du livre de cet artiste et auteur qui est reconnu en France comme un des porte-drapeaux de la littérature noire engagée politiquement, l'historien Benjamin Stora rappelle que cinquante ans après, le souvenir d'octobre 1961 revient à la surface. «Bien des tentatives d'arrachement de vérités, bloquées dans la vase de l'histoire, ont pourtant eu lieu», se félicite-t-il, citant le roman de Didier Daeninckx Meurtres pour mémoire, paru en 1984 et consacré également aux massacres des Algériens à Paris. L'historien soutient que le travail de fiction dans cette BD a pris le relais des récits d'histoire, et est venu compléter la connaissance des événements tragiques du 17 octobre 1961. Pour lui, cette BD est «forte, émouvante et érudite, et participe de la transmission mémorielle, essentielle pour comprendre le présent et définir les contours du futur de la société française». Jeune collégienne de 15 ans, Fatima Bedar avait décidé, en dépit du refus de sa maman, de participer à la marche à laquelle avait appelé la Fédération de France du FLN. Elle fût jetée, comme des centaines d'Algériens ce soir pluvieux d'octobre, dans la Seine. Son corps avait été repêché le 31 du mois d'une écluse de la Seine à Saint-Denis. La police avait conclu au «suicide». La thèse du suicide est battue en brèche dans le dernier ouvrage de l'historien Jean-Luc Einaudi Scènes de la guerre d'Algérie en France dans lequel Fatima Ammi, une ancienne camarade de classe de Bedar, nie l'existence, dans le collège qu'elle a fréquenté avec Bedar, d'une certaine Roseline à qui la défunte Fatima aurait confié qu'elle voulait se jeter dans la Seine. Cinquante ans après les faits, Djoudi, frère cadet de la martyre, réclame la reconnaissance par l'Etat français des massacres d'octobre 1961. Pour lui, il est «inadmissible qu'aucun dirigeant des gouvernements français qui se sont succédés depuis la fin de la guerre de libération nationale, n'ait eu le courage politique de reconnaître ces événements».