En Algérie, notamment depuis le basculement du pays dans le terrorisme et le contreterrorisme, la violence est partout. Elle est latente ou manifeste et loge au plus profond du lien social. Il est vrai que l'Algérie est en butte depuis l'indépendance aux contradictions d'une modernisation politique et économique sur fond de violence protéiforme. Les universitaires estiment que la violence est une catégorie difficile à cerner et, en sociologie, elle ne possède pas l'autonomie épistémologique qui l'érigerait en objet à part. Dès qu'on l'aborde, elle glisse vers un niveau microsociologique, c'est-à-dire la dynamique de groupe, ou vers un stade macrosociologique incluant le système politique. Ce second niveau capte singulièrement l'attention à la faveur d'une récente actualité, brutale et sanglante, d'un parti islamiste dont le nom évoque la réforme et la réparation du mal par le bien. Il s'agit du groupusculaire al-Islah, dont les querelles picrocholines ont défrayé la chronique politique à coups de kandjars, de barres de fer et de machettes. Pour contester une direction putschiste qui a évincé une autre, pas plus légitime d'ailleurs, des redresseurs de torts, dont un député et un ancien candidat à l'élection présidentielle de 2009, se sont opposés avec une violence inouïe, sans craindre de tuer son coreligionnaire et camarde politique. Ces petits ambitieux, qui prêchaient naguère piété et fraternité islamiques, avaient l'argument politique contondant, et c'est un doux euphémisme. Mais ces militants islamistes ne détiennent pas le monopole de la violence politique. Bien avant, en 2004, au FLN, lors d'une fabuleuse foire d'empoigne, dans des locaux de la Foire internationale d'Alger, des cadres de l'ex-parti unique s'étaient déjà affrontés, sabres au clair, tels des dragons de l'armée napoléonienne ! Ces sabreurs s'appelaient alors des «Rdresseurs». En mission commandée ou en action spontanée, ils s'étaient mobilisés pour redresser le tort d'un homme politique, alors SG du parti, qui a eu l'outrecuidante ambition de se porter candidat à la présidence de la République, en 2004. Là aussi, les sabres, les machettes, les poignards et les barres de fer ont «parlé» et le sang a giclé. Les «Redresseurs» du FLN, menés alors par un dirigeant du parti, dont le nom évoque la pudeur et la chasteté, politiques, cela va de soi, avaient usé d'un argument incisif et décisif, unique dans les annales de la politique mondiale. C'est le lâcher de dobermans écumant de bave sur l'adversaire, partisan de l'infortuné mais présomptueux candidat à l'élection présidentielle. A la différence des pitoyables sabreurs d'al-Islah, les «Redresseurs» du FLN avaient, eux, l'argument politique en forme de crocs de molosses dressés pour tuer. Le FLN comme al-Islah, du moins une partie de ces deux partis, ont donc inventé la politique du doberman enragé et de la machette acérée, pour mieux convaincre l'adversaire. Cette manière, bien algérienne, de faire de la politique, montre que la militance est plus qu'un enjeu de pouvoir. L'accès aux postes dirigeants, notamment au sein des partis national-islamistes, avatars électoralistes du Mouvement national, devient un moyen très prisé pour accéder à des situations de rente, quand il ne s'agit pas de la rente pétrolière elle-même. On milite donc pour le magot, les prébendes, les avantages de toute nature. D'où le terrifiant enjeu politique qui nécessite parfois l'usage des armes blanches, en attendant, un jour, les Beretta et les Kalachnikovs ! Dans une société où les conflits sociaux ou personnels s'expriment souvent par la violence, la dépolitisation de la société a abouti à une confusion entre sphères publiques et privées. Confusion qui a eu pour résultat de mettre au centre des conflits sociaux le pouvoir d'Etat. Un pouvoir auquel on veut accéder, à tout prix, en visant les premiers postes dans les partis. Normal, dirait-on, quand, au niveau économique, la rente pétrolière irrigue les réseaux de clientèles qui s'enrichissent, provoquant autour d'eux de profondes frustrations. Le processus de paupérisation, happant de plus en plus de groupes sociaux, fait des biens marchands un enjeu de survie, un enjeu de pouvoir. D'où une conflictualité d'une extrême violence dans la sphère politique. La solution, qui n'est pas la panacée à la violence politique : un Etat de droit qui établisse les règles du jeu démocratique permettant la formulation pacifique de l'offre et de la demande politiques. Ce jour là, les dobermans et leurs maîtres seront muselés. Les canidés avec des muselières et les politiques avec les freins de la loi et de la démocratie. N.K.