Photo : Riad Par Younès Djama Les robes noires ne décolèrent pas. Au deuxième jour de la grève de trois jours décidée par l'Union nationale des avocats (UNA), les avocats préviennent que si le projet de loi sur la profession, élaboré par le ministère de la Justice, actuellement objet d'examen à l'APN, est maintenu, ils paralyseront l'ensemble des cours et tribunaux du pays. Une assemblée générale extraordinaire de l'Union des avocats se réunira incessamment pour, à la fois, évaluer l'impact de la grève et entériner cette décision, a indiqué Me Abdelmadjid Sellini, président du Bâtonnat d'Alger lors d'une conférence de presse au siège de la Cour d'Alger. Le projet de loi portant sur la profession d'avocat «est en contradiction totale avec l'ensemble des conventions et traités internationaux que l'Algérie a ratifiés», a dénoncé Me Sellini. «Sauvons la profession (d'avocat, ndlr) pour le bien de la profession et des justiciables, a souligné Me Sellini, la mécanique judiciaire est boiteuse. Ce projet de loi est une dérive sans précédent !» «Nous sommes en dehors de toute conception objective du droit à la défense.»Les avocats demandent le retrait de ce texte pour la bonne raison que c'est toute la philosophie du texte qui est à remettre en cause, estime Me Fetta Sadat, avocate et membre du Bâtonnat d'Alger. Cette loi vise, selon elle, non moins à faire de l'avocat «un simple auxiliaire du pouvoir exécutif». D'autant que le texte en question, soutient-elle, contredit les droits de la défense. «Pour n'importe quelle décision que veut prendre le Conseil de l'ordre des avocats, il lui faut l'aval du ministre de la Justice. Mieux, un avocat qui veut recruter un assistant ou l'héberger chez lui doit avoir l'aval du ministre de la Justice. Ahurissant ! Nous sommes une fonction libérale, nous pouvons accepter qui l'on veut et avons toute latitude de rejeter qui l'on veut, c'est universellement admis», martèle un avocat. «Le seul bastion qui reste pour la consécration des droits de l'Homme, c'est bien la profession d'avocat. Si ce dernier ne peut pas effectuer sa mission, si ses droits ne sont pas garantis devant les tribunaux, et si le pouvoir exécutif s'obstine à s'immiscer, comme il l'entend, dans la mise en mouvement de l'exercice même du pouvoir disciplinaire, cela contredit les droits de la défense, voire l'essence même des droits de l'Homme», relève Me Sadat. Pour elle, ce projet de loi est une «grave dérive» que va vivre l'Algérie à travers la mise «entre parenthèses» des droits de la défense. «Nous savons tous que l'idéal premier de la profession d'avocat, c'est défendre les justiciables devant la justice. Or, pour ce faire, pour que l'avocat puisse accomplir sa mission comme il se doit, il faudrait d'abord que ses propres droits soient consacrés par les textes en vigueur. Or, nous assistons à une dérive extrêmement dangereuse pour l'avenir du pays, des justiciables et des droits de l'Homme en Algérie. Donc, pour cette profession censée être libre et indépendante - consécration première des droits de la défense et, partant, des droits de l'Homme -, ce projet de loi constitue une négation totale.» Ainsi, l'avocat n'est pas libre d'émettre les avis qu'il veut et de se comporter comme il se doit devant les tribunaux, puisqu'il est assujetti et est sous la menace d'un incident d'audience, regrettent les robes noires qui accusent le pouvoir exécutif de viser à travers ce projet de loi une «caporalisation totale» de cette profession par une «immixtion flagrante et inimaginable» dans le fonctionnement des organes mêmes de la corporation d'avocats. «Il me semble qu'à travers ce projet de loi, c'est la volonté du régime en place d'instrumentaliser l'ensemble des acteurs sociaux, et c'est là un antécédent devant lequel nous ne pouvons nous taire», estime l'avocate. En juin dernier, plus d'un millier d'avocats avaient marché du tribunal Abane Ramdane vers le siège de l'Assemblée nationale, en dépit d'un dispositif policier important, pour exiger le retrait du cet avant-projet de loi. Outre le retrait de l'avant-projet de loi sur la profession, les avocats appellent aussi à la révision du Code des procédures civiles et administratives. Lequel consacre, selon eux, la «justice des riches» et fait s'éloigner le citoyen de la justice.