Le plan Paulson –700 milliards de dollars à rajouter au coût du sauvetage de Freddy Mac, de Fanny Mae et de Lehhman Brothers– signifie une chose très simple : les Américains qui ont été expulsés de leurs maisons hier pour défaut de paiement de leurs crédits vont payer pour sauver les banques qui les ont chassés de leurs demeures. L'argent que mettra l'administration Bush dans les caisses des banques en rachetant les créances douteuses et polluées provient bien de leur poche via les impôts. C'est bien l'argent de la collectivité et nous avons sous les yeux, comme au labo, que, dans le capitalisme, les profits sont privés et les pertes sont sociales. Quelques-uns gagnent quand cela marche et tout le reste paye quand cela coince. Le problème apparemment nouveau est que ces quelques-uns qui gagnent le font à l'échelle planétaire. Et ils le peuvent car ils disposent pour leurs spéculations et leur recherche du profit d'instruments redoutables, hégémoniques, qui portent à travers le monde leurs conceptions, leurs idées économiques et les imposent au besoin par les pressions, le chantage, l'abus des positions dominantes nées de siècles de colonialisme et de son pillage et au besoin par les armes. Ces instruments sont les Etats dominants depuis au moins deux siècles –Etats coloniaux et Etats impérialistes– oh, les termes honnis du marxisme ! -. La Banque mondiale et le FMI sont d'autres instruments redoutables quoique en déclin. Mais les nouveaux instruments les plus terribles où s'élaborent les choix stratégiques de l'oligarchie mondiale sont le Forum de Davos et le G8 qui les traduit en décisions –le G8 qui n'est en réalité qu'un G7 car la Russie pèsera peu dans la résolution de la crise même si elle a volé au secours de l'Islande avec un prêt urgent de 4 milliards d'euro. Mais ce que découvrent avec stupeur Américains et Européens de base –et la plupart d'entre nous avec eux– appartient à la nature du capitalisme. Des dirigeants européens parlent de dérives du libéralisme, condamnent les jeux spéculatifs des Bourses et font semblant d'apprendre sur le tas et à l'occasion un côté crapuleux de ce système qu'ils ont vanté sur tous les toits. L'accent est mis sur les parachutes dorés, sur leur côté provocateur en temps de disette, leur aspect immoral de prime à l'escroquerie, au mensonge et à l'avidité. Ils se mettent à parler comme les altermondialistes ; ils critiquent les excès du capitalisme pour mieux l'épargner dans sa nature. Ils s'accordent d'ailleurs sur bien d'autres plans. Cette oligarchie mondiale possède d'autres outils tout aussi efficaces : les médias, les intellectuels et les experts maison des télés et des radios, la capacité, aujourd'hui d'imposer leurs termes à tous les débats, de travestir le sens des mots, des notions. Le monde est soumis à leurs grilles de lecture, à leurs modes, à leurs fantasmes ; bref à leur idéologie qui vise à nous occulter le monde réel et à nous faire prendre pour «naturel» le capitalisme. Le modèle qui correspondrait si bien à «une nature» de l'homme. Cette idéologie repose sur une nouvelle religion, un dogme sacré et indiscutable : le marché. Le marché autorégulé et régulateur. Le maître du monde qu'aucune intervention de l'Etat, aucune régulation ou réglementation ne devait venir perturber dans ses processus «naturels», ni limiter sa liberté. Le profit, et le profit seul, devait le guider dans sa production de la prospérité générale. Dogme triomphant et apparemment victorieux pour l'éternité depuis la chute du mur de Berlin. Dogme hégémonique qui a gagné du terrain dans notre pays alors même que tout le monde sait que ce marché pur et sans mélange n'existe nulle part au monde et surtout pas dans les grands pays capitalistes. Subventions, aides de toutes sortes, financements publics directs et indirects, protectionnisme à peine déguisé sous la forme de normes qui ferment les marchés européens sont autant d'interventions des Etats capitalistes qui contredisent leurs professions de foi. La réalité de la crise nous montre bien que nous n'avions pas à faire à des analyses scientifiques mais à une propagande idéologique d'«experts» formatés par les institutions financières internationales. L'intervention massive des Etats développés ne doit pas faire illusion sur la réalité de leurs politiques : ils sont interventionnistes au quotidien et depuis longtemps, cherchant en permanence à promulguer les lois qui précarisent les travailleurs et favorisent les profits du grand capital. Ce dogme du marché en prendra-t-il un coup ? Pas si sûr tant que les plus grands médias aux mains des grands financiers continueront à manipuler et à désinformer. Depuis 2007, des centaines de milliards de dollars ont été injectés par les Etats sans que le grand public soit vraiment au courant des enjeux et du fait que cet argent était le sien. Ce même argent qui manquait pour les programmes sociaux, l'aide au développement de l'Afrique ou plus simplement l'aide aux ménages endettés. L'argent pour la grande finance est toujours disponible pour le grand capital et les grands financiers qui nous ont si magistralement délivré les preuves qu'ils ne sont que des requins, des spéculateurs et des joueurs de poker drogués au profit. Les 700 milliards de dollars de Paulson étaient introuvables pour aider les Américains à bénéficier d'une assurance-maladie qui ne triche pas avec leurs souffrances. C'est tout ce «caché» ordinaire qui remonte à la lumière du jour en temps de crise. Mais tous ces mensonges des temps d'enrichissement pour quelques-uns, qu'ils appellent expansion ou croissance, que les travailleurs ont avalés goulûment, doivent nous inciter à plus de vigilance sur le tsunami d'informations orientées que nous servent les organes de ces mêmes financiers. Quand je pense à cette histoire française de travailler plus pour gagner plus, je mesure combien on a inoculé au Français moyen l'idée que ses voisins se la coulent douce pendant que lui bosse durement et combien il n'avait pas attaché son sort au destin collectif. L'autre mot-clé de cette idéologie du libéralisme est l'individu comme sujet historique et dont le sens réel est la promotion de l'individualisme. Même au pays des luttes de classes parmi les plus sévères du monde, les Français ont perdu la mémoire des luttes solidaires qui leur ont offert leur confort actuel. C'est dire la puissance de la machine de propagande en œuvre. Partout déjà, les gouvernements présentent les mesures de soutien à la grande finance comme des mesures de soutien de l'économie au profit de tous, de préservation de l'emploi, etc. Il leur faut bien concéder à leurs opinions publiques affolées une «moralisation» du capitalisme en multipliant les déclarations sur les parachutes dorés quand ils ne disent rien des rémunérations vertigineuses protégées par des plafonds fiscaux et qui assureraient à elles seules des rentes princières jusqu'à leurs arrière-petits-enfants. Pis, ces mêmes gouvernements se sont empressés de rassurer les actionnaires quant à la garantie de leurs dividendes. Mais le must nous vient d'Angleterre, bien sûr. Le must ne peut venir que de la Grande-Bretagne qui venait de mettre une banque sous tutelle –il n'y a pas à dire, les politiciens au service du capitalisme savent trouver les mots pour édulcorer les choses. Un actionnaire important de cette banque a fait une déclaration qui vaut son pesant d'or. La décision du gouvernement de la reine est, pour lui, digne de la Russie soviétique. Elle est une atteinte à la liberté et à la démocratie. Et du coup, vous comprenez que le mot liberté signifie en réalité la liberté de spéculer à travers le monde et que démocratie signifie donner de l'argent à la banque sans toucher au pouvoir de ses propriétaires. Cela ne suffira certainement pas à mettre en crise la domination du libéralisme et encore moins la domination du grand capital. Mais elle le mettra face à des difficultés sérieuses. D'abord face à l'émergence du caractère mondial de la crise, face à la reproduction élargie de ces crises. Toute la planète paye pour Wall Street. Mais toute la planète ne voit pas clairement que la liberté de circuler des marchandises et des capitaux n'est pas un échange entre des choses ou entre des choses et de l'argent. Ce sont des rapports entre les hommes. Toute la planète n'est pas prête à sortir du fétichisme de la monnaie pour examiner les rapports économiques et sociaux. La phrase de Marx dans le livre premier du tome premier du Capital restera une coquetterie de gens cultivés : «Les rapports entre les hommes prennent l'aspect fantastique de rapports entre les choses.» Déjà sous nos yeux, en pleine crise, journaux, gouvernements, analystes nous font prendre le problème pour une question de liquidités. Prendre de l'argent pour résoudre un problème d'argent. Ce n'est plus qu'un problème d'argent mais pas celui d'un système capitaliste malade de la recherche effrénée du profit. Oubliées ces trois décennies de chute tendancielle du taux du profit ayant entraîné les délocalisations et un remodelage profond du capitalisme qui a soumis le monde entier à une ploutocratie mondiale, selon Samir Amin qui entoure cette notion des précautions nécessaires dues à son usage antérieur par les fascistes. Oubliées ces trois décennies d'aides publiques et d'exonérations à des entreprises qui délocalisaient vite fait après avoir empoché les soutiens. Oubliées ces trois décennies de flexibilité du travail qui ont mis à mal en profondeur le pouvoir d'achat des Américains et des Européens. Oubliées ces trois décennies de politiques d'ajustement structurels qui ont ruiné les pays du tiers-monde. La crise n'est plus le résultat de ces politiques. Juste une question d'argent que les gouvernements du capitalisme ont vite fait de trouver dans les poches des contribuables. Surtout ne croyez pas un traître mot de ceux qui vous disent que le capitalisme est le problème, qu'il n'est pas la solution pour la planète, sur aucun plan. Que ses crises frapperont désormais la totalité du globe et qu'il est temps de mettre fin à l'hégémonie d'un système crapuleux, qui a toujours été crapuleux dans sa recherche des marchés et des matières premières, dans l'échange inégal qu'il impose au monde, dans les guerres qu'il génère pour résoudre ses crises. Ne croyez surtout pas que cette réalité mettra de la mesure chez les drogués du libéralisme. La Chine avait 400 milliards de dollars d'action chez Freddy Mac et Fanny Mae. Selon des sources différentes, elle possède 800 ou 1 000 milliards de dollars en bons du Trésor. Elle en possède autant en réserves de changes. Elle devra payer sa part des fausses solutions de cette crise. Les Russes ont perdu 15 milliards de dollars les trois premiers jours de la crise. Les premières estimations chiffrent à 800 milliards de dollars les pertes probables des Fonds souverains du Golfe. Tous les investissements de ces Fonds souverains se sont avérés à risques. Et pour cause ! Des secteurs entiers des grandes économies leur sont interdits au nom d'un patriotisme économique antinomique avec le dogme du marché mais qu'importe ! Qui domine le monde domine ses idées. Ils doivent aller vers la spéculation ou le rachat de petites entreprises sans avenir. Ce qui peut vous apparaître comme une pratique risquée et dangereuse pour des pays outillés comme la Chine, qui s'adosse à une industrie performante, une maîtrise technologique grandissante, des prouesses techniques, devrait nous apparaître comme un jeu de casino pour notre pays. Nous ne sommes pas les pays du Golfe adossés à des gestions familiales et de contrôle claniques. En pleine crise, des voix s'élèvent pour demander la création d'un Fonds souverain algérien pour acheter des entreprises en difficulté à l'étranger et s'enfoncer dans ce système de requins. En pleine crise. Cela ressemble à du surréalisme. Bien sûr, comme nous sommes algériens, nous nous posons les bonnes questions qui nous concernent : qui va diriger ce fonds souverain et pour en faire quoi ? Et pourquoi acheter des entreprises à l'étranger quand nous avons besoin de les créer en Algérie pour réduire le fardeau de nos importations ? Et si ce Fonds souverain devait servir à investir en Algérie, pourquoi ne pas l'appeler fonds national d'investissement ? Le gouverneur de la Banque d'Algérie a bien raison de souligner les risques de cette idée aventureuse. Non, les crises n'ouvrent pas toujours les yeux. Elles n'ouvrent pas tous les yeux. Elles n'ouvrent pas les yeux des dogmatiques du libéralisme et des prêtres du marché. Ils n'y voient que de nouvelles occasions de faire des profits au détriment de tous. Elles n'ouvrent pas les yeux de tout le monde mais elles ouvrent les yeux de beaucoup de gens. En Algérie, aussi ! M. B.