Assaillies par la tourmente financière, les banques américaines n'osent plus prêter, ce qui approfondit la crise et ouvre la voie à la récession. La comparution bisannuelle du gouverneur de la Réserve fédérale, la banque centrale américaine, devant le Congrès, est généralement l'occasion de préciser le propos concernant les tendances à venir des taux d'intérêt. Mardi en revanche, face aux parlementaires, Ben Bernanke avait un souci bien plus urgent: la crise profonde que traverse le système financier américain. "Aider les marchés à revenir à un fonctionnement plus normal continuera d'être une priorité de la Réserve fédérale", a-t-il assuré. Ses paroles n'ont pas suffi à restaurer la confiance des marchés. Les bourses ont à nouveau piqué du nez mardi après un bref moment de reprise lundi. L'indice SP 500, qui rassemble les plus grandes entreprises américaines, a plongé de 13,5% depuis le début du mois de juin. Depuis quelques jours, les Etats-Unis ont replongé dans la tourmente financière. Vendredi dernier, l'une des plus importantes banques hypothécaires de la côte Ouest, IndyMac, faisait faillite et passait sous contrôle de la FDIC, l'autorité de régulation des banques de dépôt. Dimanche, le secrétaire au Trésor Henry Paulson annonçait un plan de renflouement de Freddie Mac et Fannie Mae, évitant un effondrement total des crédits hypothécaires. Ces deux organisations, en mains privées mais jouissant jusqu'alors d'une garantie implicite de l'Etat fédéral, refinancent 47% de la totalité des prêts hypothécaires aux Etats-Unis pour un total de 5 200 milliards de dollars. A ceux qui affirmaient après le sauvetage de la banque d'affaires Bear Stearns en mars que le gros de la crise du crédit était passé, les faits actuels donnent tort", observe Fernando Martins da Silva, stratège à la Banque Cantonale Vaudoise à Lausanne. Après quelques semaines de calme en avril, la situation s'est à nouveau dégradée dès la fin du mois de mai. La baisse de l'activité économique et la hausse des prix du pétrole ont ravivé les blessures laissées par la crise de l'hiver dernier, qui a frappé avant tout les grandes banques. Confrontés à un marché de l'immobilier américain dont les prix ont reculé de 15 à 20% depuis le pic de l'été 2006, les organismes de prêt ne savent plus que faire de leurs créances à risque, et encore moins de celles qui sont devenues irrécouvrables. Et comme les grandes banques restent elles aussi noyées sous les titres de dette dévalués qui les ont obligées à procéder à des amortissements géants, "leur appétit au risque a fortement diminué. Elles cherchent à prêter le moins possible", constate Michel Juvet, stratège à la banque européenne. C'est précisément l'inquiétude majeure que Ben Bernanke a exprimée mardi face au Congrès: "Mes préoccupations ont évolué et concernent moins la solvabilité de ces institutions et plus leur capacité à consentir les crédits dont notre économie a besoin pour continuer à croître, parce que dans de nombreux cas les banques se désendettent, réduisent la taille de leur bilan ou répugnent à lever les capitaux supplémentaires nécessaires pour saisir les opportunités." Le robinet n'est pas complètement fermé. Mais les conditions d'accès au crédit se sont clairement durcies pour tout le monde. Les taux d'intérêt des prêts commerciaux ont pris l'ascenseur malgré le mouvement inverse entrepris par la Fed depuis le début de l'année. Pire, les investisseurs ont peur. Ils exigent des primes toujours plus élevées en contrepartie de la prise en charge des risques de défaut de paiement des dettes obligataires par le biais de credit-default swaps (CDS). C'est ainsi que les primes de risque exigées se sont envolées pour des institutions financières jugées à haut risque comme la banque de crédits CIT Group (95 milliards de dollars au bilan), à 819 points de base, ou pour la grande banque d'affaires Lehman Brothers (à 380 points), qui publiera ses résultats trimestriels vendredi et que d'aucuns voient comme prochaine victime majeure de la crise. Même un mastodonte apparemment sûr comme le numéro un mondial du pétrole ExxonMobil a vu ses coûts renchérir, certes de quelques points de base seulement. Les consommateurs aussi en subissent les conséquences. "Avant la crise, ils empruntaient de quoi financer leurs achats en mettant leur maison en garantie, ou en accroissant leur hypothèque. Depuis que les banques se montrent restrictives, ils se refinancent grâce à leurs cartes de crédit et au crédit à la consommation", note Michel Juvet. Conséquence de ce glissement: une dégradation de la qualité de ces prêts, et donc un risque accru pour les organismes spécialisés. Entreprises et consommateurs ne sont toutefois pas égaux face au "credit crunch". Les premières jouissent généralement de finances saines. Elles ont profité des belles années pour réduire leur endettement et constituer de solides bases de fonds propres. Elles ne sont par conséquent pas directement menacées par les restrictions de crédit. "Les écarts de rendement entre les emprunts des entreprises et les obligations d'Etat sont exagérés. Ils ne reflètent pas la réalité de l'excellente santé des premières", note Fernando Martins da Silva. Un analyste allemand a même affirmé dans The Economist que "si l'état des entreprises correspondait aux primes que l'on exige d'elles, la situation serait si grave que nous vivrions tous dans des grottes". Les consommateurs, en revanche, sont pris en tenaille entre les difficultés croissantes d'obtenir de nouveaux prêts, l'élévation des prix du pétrole et de l'inflation en général, et un risque de plus en plus élevé de perdre leur emploi en cas de récession. Cette donne n'est pas faite pour rassurer les créanciers, qui tendent à se montrer encore plus restrictifs. Leur inquiétude est démultipliée par le fait que l'économie américaine "est effectivement entrée en récession, même si cela n'a pas encore été officialisé", assurent chacun de leur côté Michel Juvet et Fernando Martins da Silva. La hausse des prix du pétrole en est la cause première, suivie par la chute de l'immobilier. L'aggravation de la crise financière va-t-elle précipiter la première économie mondiale dans le gouffre? "Non, mais elle ne facilitera pas la sortie de crise à cause de la persistance de taux d'intérêt élevés pour les entreprises et les consommateurs", estime Fernando Martins da Silva. Les propos tenus mardi après-midi par Ben Bernanke ont voulu donner un signe rassurant au marché: "Les banques sont bien capitalisées", a-t-il déclaré aux membres du Congrès.