A la veille de la conférence des Nations unies sur les changements climatiques de Durban (Afrique du Sud), les gouvernements européens doivent admettre que, divisée, l'Union européenne (UE) est le maillon faible de la mondialisation. Les nouvelles puissances émergentes - Brésil, Chine et Inde - rechignent à assumer une plus grande responsabilité dans les négociations internationales, surtout face à l'incapacité apparente de l'UE à remettre de l'ordre dans sa maison.Ces deux dernières réunions sont pleines d'enseignements. Dans les deux cas, un pays européen – le Danemark en 2009 et la France en 2011 – conduisait un processus crucial pour relever deux défis : le changement climatique et la crise économique mondiale. Bien entendu, les insuffisances de la conférence de Copenhague et du sommet du G20 ne sont pas toutes dues aux seules divisions européennes.Mais celles-ci ont été ressenties vivement alors que le monde cherche une solution alternative au leadership américain sans trouver de candidat crédible. En ces deux occasions et malgré de réelles capacités intellectuelles et techniques pour apporter une riposte aux enjeux mondiaux, l'UE n'a pas su impulser le changement. Les divisions étaient et restent la première cause de son impuissance sur la scène internationale.Le contraste est saisissant : l'Europe a accompli des progrès dans l'économie mondiale et fait œuvre de pionnier en intégrant des pays très divers, grâce à un cadre consensuel de principes et de règles pour la fourniture de biens publics. Forte de cette expérience et de son poids économique, l'UE doit contribuer à l'adoption de nouvelles formes de gouvernance internationale alors même que la mondialisation s'accélère. Mais le succès paraît incertain. A l'avenir, l'Europe doit investir dans la transformation de son économie et ouvrir un nouveau chapitre de son intégration, celui de la prochaine révolution industrielle, indispensable pour se libérer de la dépendance au carbone et construire un modèle de croissance économe en ressources.On voit à certains signes que le processus est amorcé : abandon des combustibles fossiles au profit des énergies renouvelables, adoption de nouvelles techniques dans le bâtiment et les transports, nouveau déploiement des technologies de l'information pour la gestion de réseaux, remise à plat des politiques d'urbanisme et priorité accordée à la recherche. Cette révolution nécessite un renouvellement du rôle des acteurs publics et des politiques mais aussi l'adoption de nouveaux modèles économiques. L'économie doit s'adapter à l'action publique, confrontée au défi de favoriser une transition dynamique.L'Europe est le lieu idéal pour élaborer cette nouvelle vision. Celle-ci doit donner naissance à un projet politique dont les citoyens européens ont tant besoin. C'est la seule voie crédible pour restaurer la croissance. Il nous faut des politiques convergentes– avec ces instruments budgétaires que sont les politiques de tarification de l'énergie et du carbone, pour renoncer à la fiscalité du travail en faveur d'une fiscalité privilégiant les écotaxes, à l'instar de ce qu'ont fait les pays du nord de l'UE.Il nous faut de grands réseaux d'infrastructures communs, notamment pour l'énergie. Ces investissements seraient comme la réforme réglementaire, un objectif pour l'Europe : très productifs et propices aux énergies renouvelables, ils renforceraient la sécurité et l'intégration. Grâce à cette vision, une Europe unie conforterait sa crédibilité de leader. Sans l'Europe, les négociations internationales autour du climat aboutiront à nouveau à une impasse, alors même qu'un certain nombre de pays en développement se mobilisent.Le sommet de Durban est une occasion pour ranimer la flamme. Ses résultats politiques dépendront de la capacité à dégager une perspective dépassant la seule mise en œuvre de l'accord de Cancun. Les politiques climatiques commencent à produire leurs effets. La Chine – comme les pays émergents et en développement – investit dans une économie sobre en carbone. Mais ces mesures ne suffisent pas. Nous savons que ces engagements ne produiront qu'une partie des effets requis pour éviter un réchauffement supérieur à deux degrés.La réussite de la stratégie de Cancun dépendra de l'adoption d'une vision ambitieuse et partagée. D'où la nécessité d'un cadre mondial qui puisse donner sens et confiance : la Chine semble prête à avancer, consciente de la nécessité d'une action coordonnée pour enclencher la révolution technologique sobre en carbone. Mais seule l'UE peut donner l'élan nécessaire pour sortir de l'inertie et libérer cette volonté d'agir que l'on perçoit, à mesure que l'on comprend mieux les dangers du changement climatique mais aussi le potentiel de la nouvelle révolution énergétique et industrielle. Cette mutation exige des politiques cohérentes, des investissements considérables et une véritable volonté politique. Il est temps pour les Européens de mettre fin à leurs querelles, de faire preuve d'initiative et de parler d'une seule voix. N. S./L. T. * Nicholas Stern est président du Grantham Research institute on climate change and the environment et professeur à la London school of economics * Laurence Tubiana est directrice de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) In le Monde du 29 novembre 2011