Le monde arabe endosse, consentant et contraint à la fois, l'habit vert de l'islamisme soft. Rampant brutalement avec la pensée totalitaire baâthiste, il s'est laissé précipiter dans le bain tiède du libéralisme communautaire. Les «révolutions», qui viennent de secouer de nombreux pays de la région, ont curieusement donné partout le même résultat. La Tunisie a confié sa transition démocratique aux bons soins des islamistes d'Ennahda. La formation de Rached Ghannouchi, majoritaire à l'Assemblée constituante, s'offre une bonne coalition et se met aux commandes pour baliser la voie à la Tunisie post-Ben Ali. En Libye, les tombeurs de Mouammar Kadhafi ne jurent que par la Charia. Mustapha Abdeljalil, son Premier ministre, Abdel Rahim al-Kib et leurs camarades du CNT, rappellent à qui veut les entendre que les contours du nouvel Etat seront principalement inspirés de la religion. Au Maroc, la victoire aux dernières législatives est également revenue au parti Justice et Développement (PJD) de l'islamiste modéré Abdelilah Benkirane. Ce dernier s'apprête, lui aussi, à négocier une alliance confortable pour gouverner. En Egypte, le plus grand pays arabe, les Frères musulmans s'apprêtent aussi à prendre les rênes du pouvoir après la chute brutale de Hosni Moubarak. Leur Parti liberté et justice (PLJ) est désormais crédité d'une bonne majorité à l'issue du scrutin parlementaire, qui se déroule en ce moment dans le pays. Les islamistes occupent encore les avant-postes de la révolte, toujours en cours contre le régime de Bachar al-Assad en Syrie et celui d'Ali Abdellah Saleh au Yémen. La vague verte ne s'arrêtera certainement pas là. Elle est également à l'œuvre dans certaines monarchies du Golfe, comme le Bahreïn, l'Arabie saoudite et Oman, et ne tardera pas à éclabousser, d'une manière ou d'une autre, les pays restants. Malgré la différence du contexte historique et des enjeux stratégiques, les analystes convoquent volontiers la pensée de Djamel Eddine Al Afghani, celle de Mohamed Abdou, Rachid Rédha et même Ben Badis, pour trouver des vertus à cette rupture porteuse d'incertitudes. En ce qui les concerne, tous ces partis naissants succombent à l'effet de mode, et tentent, chacun à sa façon, de singer le modèle turque qui compte des millions de fans dans les pays arabes. Prenant conscience de ce phénomène, la Turquie avance ses pions pour profiter de cette aubaine. Puissance régionale et membre de l'Otan, au nom duquel elle exerce de lourdes pressions sur son voisinage, le pays de Tayyip Erdogan, sans renoncer à ses ambitions européennes, apporte un appui franc à cette mutation arabe où l'islamisme modéré se substitue partout au nationalisme. La cause palestinienne lui sert de cheval de bataille dans ce grand poker où l'Occident joue également un grand rôle dans le double objectif d'isoler complètement l'Iran en resserrant davantage son hégémonie sur les pays arabes. L'islamisme, radical ou modéré, a toujours constitué l'allié historique des Anglais et des Américains dans la région. L'histoire nous apprend, justement, que la création de la confrérie des Frères musulmans en Egypte en 1928 s'est faite sur inspiration de l'occupation anglaise, pour limiter l'influence grandissante des nationalistes du parti Wafd qui militaient ouvertement pour l'indépendance. Selon plusieurs sources historiques, les fonds, qui ont permis à Hassan Al Banna de lancer son mouvement, provenaient des services britanniques. Mais une fois les indépendances acquises, les leaders nationalistes (Nasser, Saddam, Hafedh al-Assad, Kadhafi et les autres), succombant aux satisfactions du pouvoir autoritaire, n'ont pas réussi à inscrire leurs pays dans la modernité. Les principes fondamentaux du nationalisme, tels qu'énoncés par le théoricien Michel Aflak, ont été pervertis pour faire de la place au «zaïmisme» le plus stérile. Les valeurs promises comme la justice sociale, le développement, le progrès et la laïcité de l'Etat ont été remisées au placard. Profitant justement de cet échec, la mouvance islamiste se pose, dès lors, en alternative, et parvient aujourd'hui à ses fins avec la bénédiction des puissants de ce monde. Ne faut-il pas craindre un retour en arrière ? Le risque d'une nouvelle régression est-il écarté ? L'avenir des sociétés arabes est décidemment semé d'embûches. K. A.