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Baba Merzoug, reviens-nous !
Les Algériens souhaitent rapatrier le canon mythique, les Français ne refusent pas mais tergiversent
Publié dans La Tribune le 17 - 12 - 2011

Ce n'est pas encore la réconciliation franco-algérienne à coup de canon. Elle n'est pas encore à portée de canon, malgré l'enthousiasme de la presse algérienne qui s'est empressée d'annoncer le rapatriement du légendaire Baba Merzoug. Le canon qui a valu à Alger, sous la régence ottomane, sa réputation de citadelle imprenable. Selon les gazettes, cette pièce d'artillerie, unique en son genre, qui a protégé Alger près de trois siècles durant, devrait être restituée à l'Algérie, le 5 Juillet prochain, à l'occasion de la célébration du cinquantenaire de l'Indépendance. Mais, pour l'heure, la Préfecture maritime de Brest n'envisage pas de se séparer du célèbre canon. «Nous n'avons reçu à ce jour aucune demande officielle concernant le canon La Consulaire», ainsi baptisé par les Français, lors de la prise d'Alger, le 5 juillet 1830. Baba Merzoug est toujours planté au milieu d'un parking de la zone militaire du port de Brest. Son retour à Alger, à l'Amirauté, son ancien lieu d'accueil, n'est pas encore pour demain. Le combat pour sa restitution, mené sans tambour ni trompette, par un comité ad hoc, créé en 1999 par l'historien algérois Abdelkrim Babaci, continue. Avec une subtile discrétion.
Baba Merzoug, le père fortuné des Algérois, qui les protégeait en leur apportant chance et baraka, est, par certains aspects, avant d'être le combat de militants algériens de la mémoire, une histoire singulièrement bretonne. Le célèbre canon fut, en effet, transféré dans la capitale du Finistère par Victor-Guy Duperré, amiral en chef breton de la marine coloniale. En juillet 1830, dès les premiers jours de la chute d'Alger, le fameux canon est saisi est expédié comme précieux trophée de guerre à Brest, pour être installé dans l'arsenal militaire de la ville. «C'est la part de prise à laquelle l'armée attache le plus grand prix», écrit-il alors. Un autre Breton, homme d'affaires de son état, milite activement depuis 2003 pour sa restitution à l'Algérie. Encouragé par le précédent du sceau du Dey Hussein, remis par le président Jacques Chirac à son homologue Abdelaziz Bouteflika, Domingo Friand, passionné d'histoire, humaniste et altruiste en diable, a mené une campagne assidue en faveur du retour de Baba Merzoug à Alger. Il souhaite que le canon, érigé, l'affût à la verticale, soit transféré aux autorités algériennes. Il promet alors une cérémonie œcuménique à Alger, avec un imam et un évêque,
«en mémoire des victimes de la colonisation et en lieu et place du Traité d'amitié franco-algérien qui n'a jamais été signé». Militant de l'UMP, parti du président Nicolas Sarkozy, Domingo Friand a d'abord plaidé la cause de Baba Merzoug auprès de la députée du Finistère Marcelle Ramonet, qui a notamment évoqué l'affaire, en 2004, avec le maire de Bordeaux et actuel ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé. La députée de l'UMP a ensuite transmis le dossier à la ministre de la Défense de l'époque, Michelle Alliot-Marie, en mars 2005. Cette cacique de l'UMP avait alors opposé un refus certes poli mais qui exhalait un parfum de la loi scélérate de février 2005 glorifiant la colonisation : «Ce canon fait partie intégrante de notre patrimoine historique de la défense (…). De plus, le personnel de la marine manifeste un attachement particulier à ce monument qui commémore la participation des marins à un épisode glorieux de l'histoire de nos armées.»
Baba Merzoug avant la Grosse Bertha
L'homme d'affaires breton a réussi par ailleurs à susciter l'intérêt de l'ambassade d'Algérie à Paris. Cette dernière a transmis le dossier au ministère de la Culture à Alger, tandis que l'Elysée «ne se dit pas opposé à une restitution, sous la forme d'un prêt à long terme». Un bail emphytéotique gracieux et susceptible de renouvellement. Le tenace Breton semblait s'inscrire dans l'esprit d'une pétition d'anciens officiers de l'armée coloniale qui, en 1912, réclamaient déjà le retour de Baba Merzoug à Alger. Côté algérien, des amis de Baba Merzoug militent depuis 1999 pour sa restitution à l'Algérie, dans le cadre d'un comité pour le retour de ce «prisonnier de guerre», à l'initiative de l'historien Belkacem Babaci. Fils de la Casbah, naguère cœur battant de la Mahroussa, la citadelle bien gardée, Belkacem Babaci, auteur d'une remarquable histoire de l'épopée de Baba Merzoug, va dans le sens de l'Histoire. Il n'oublie pas notamment que Napoléon Bonaparte avait indûment pris la fameuse statue d'Apollon qui se trouvait sur la Place de Brandebourg à Berlin. Le monument a quand même fini par être restitué à l'Allemagne. Juste retour des choses. Le combat franco-algérien pour le rapatriement de Baba Merzoug fait sens car il tire sa substance de l'histoire de ce canon à nul autre pareil, jusqu'à l'invention par les Allemands de l'extraordinaire Grosse Bertha, utilisé pendant la Première Guerre mondiale. Son histoire propre est indissociable de celle de la Régence turque et de la colonisation de l'Algérie. Ainsi, après la reconquête d'Alger, consécutivement à la reprise du Penôn aux Espagnols par Kheireddine Baba Arroudj, ce dernier, devenu souverain en 1529, entrevit la nécessité de fortifier la ville. Lui et son successeur Baba Hassan la dotent donc de forts et d'une série de puissantes batteries de marine. C'est notamment grâce à ses travaux de génie qu'en 1541, Alger a repoussé l'impressionnante armada de Charles Quint, venu en personne récupérer ses «possessions» algériennes et venger l'humiliante défaite de sa marine, à Oran, face à Kheireddine. En 1542, pour célébrer la fin des travaux de fortification, Baba Hassan fait fabriquer un gigantesque canon par un fondeur vénitien, long de 6,25 mètres et d'une portée de 4,872 km –exceptionnelle pour l'époque. Cette pièce est baptisée affectueusement Baba Merzoug, père fortuné et protecteur béni de la rade et de la ville. Dirigé vers la Pointe Pescade, servi par quatre artilleurs et installé entre Bordj Essardine et Bord El Goumène (Goumène= câbles, amarres, cordes), Baba Merzoug interdisait dorénavant à tout navire ennemi, quelle que soit sa puissance de feu, d'accéder à la rade d'Alger. Avec ses mille pièces d'artillerie, dont le canon en chef était Baba Merzoug, Alger avait mérité son surnom de Mahroussa. Dormez en paix braves gens, les canons algérois tirent au loin !
Les Algériens, maîtres intraitables de la Méditerranée
Un siècle et demi plus tard, après avoir dicté aux Hollandais et aux Anglais des pactes de non-agression, les corsaires algériens sont devenus les maîtres intraitables de la Méditerranée. Cette année-là, ils capturent une frégate française et vendent son commandant comme esclave sur l'actuelle Place algéroise des Martyrs. Louis XIV, le Roi-Soleil, soucieux de rester en lumière, réagit en envoyant l'amiral Abraham Duquesne, à la tête d'une expédition punitive d'une centaine de navires lourdement armés. Cette fois-ci, les marins français disposaient de bombes et de boulets incendiaires. Leur puissance de feu finit par contraindre le Dey à demander un armistice et l'ouverture de négociations. L'intermédiaire français est alors le vicaire apostolique Levacher, désigné par le roi comme consul à Alger depuis 1671. Duquesne exige et obtient la libération de la plupart des captifs chrétiens. Mais c'était sans compter sur un certain Mezzo Morto, alias Hadj Hussein, riche renégat gênois qui fomenta alors un complot politique, assassina Baba Hassan et ligua la population algéroise contre l'envahisseur français. L'amiral Duquesne reprend alors les bombardements. Mezzo Morto, devenu Dey, inaugure en ces temps une méthode de représailles très expéditive, restée célèbre : le consul Levacher est introduit dans la bouche de Baba Merzoug avant que les artilleurs algériens ne fassent feu. C'est depuis ce jour que la marine française a donné le nom de La Consulaire à Baba Merzoug, en mémoire du diplomate pulvérisé. Après lui, d'autres captifs malchanceux subirent les mêmes foudres canonnières, et la terrifiante réputation de Baba Merzoug s'en trouva d'autant grandie. Finalement, l'amiral Duquesne rentra bredouille en France, et la marine française rumina sa défaite… jusqu'à la conquête de l'Algérie en 1830. Le 5 juillet de cette année, après la conquête d'Alger, la plupart des canons sont fondus et transformés en francs nouveaux. Mais, l'amiral en chef de l'armada française, Victor-Guy Duperré, lui, n'a pas oublié Baba Merzoug, le canon de l'amertume historique de la marine française. Il le fit donc transférer en Bretagne où il est érigé en colonne votive dans l'arsenal de la ville, au magasin général, Quai Tourville. Aujourd'hui, les promeneurs qui empruntent le Pont de La Recouvrance, à Brest, peuvent distinguer en surplomb le canon planté au milieu d'un parking de la zone militaire. Les curieux découvriront alors un monument un peu piteux, l'affût recouvert d'un magma de plâtre jauni. Puis une grille rouillée autour d'un socle carré en marbre. Sur les côtés, des gravures de bronze commémorent l'histoire coloniale. Sur la plus réactionnaire de ces inscriptions, on peut lire : «L'Afrique délivrée, vivifiée, éclairée par les bienfaits de la France et de la civilisation.» Déjà, gravé dans le marbre de la condescendance coloniale, l'esprit du discours de Dakar de Nicolas Sarkozy. Tout aussi bien, la philosophie de la loi de février 2005 glorifiant le fait colonial.
Les huit canons des Invalides, aussi
Aujourd'hui le militant de la mémoire méritant, Belkacem Babaci, a bien reçu des promesses de l'Elysée, faites par un certain Claude Guéant, alors secrétaire général de l'Elysée. Cinq ans plus tard, malgré ces promesses, qui peuvent être des promesses de Gascon, les autorités françaises ne semblent guère davantage disposées à se séparer de Baba Merzoug. Elles rappellent, à qui veut bien les entendre, qu'il se dresse maintenant depuis des décennies dans l'enceinte de la base navale de Brest, qu'il figure même sur des cartes postales de la ville et que, surtout, la marine française en a fait une question d'honneur militaire et d'orgueil national. Et si, à propos d'honneur militaire algérien et d'orgueil national, de ce côté-ci de la Méditerranée, les amis de M. Babaci, en attendant les pouvoirs publics algériens, demandent aux autorités françaises la restitution d'autres canons de la marine algérienne ? A savoir, les huit couleuvrines en bronze gisant sur le sol, à l'entrée de l'esplanade de l'Hôtel des Invalides ? Le cas échéant, la fête serait plus complète car Baba Merzoug serait accompagné de huit «petits frères» d'armes.
N. K.


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