Tunisie, le 17 décembre 2010. Un vendeur de fruits et légumes, Mohamed Bouazizi, s'est immolé par le feu. Son geste désespéré marque le début d'une série de révoltes dans le Monde arabe. La révolte du Jasmin, la toute première de ce qui est connu aujourd'hui par le Printemps arabe, a provoqué la chute de Zine al-Abidine Ben Ali, puis celle de Hosni Moubarak en Egypte. Elle a causé la mort de Mouammar Kadhafi en Libye, a poussé le président yéménite Ali Abdallah Saleh à monnayer son départ en échange de son immunité et a mis le président syrien Bachar al-Assad dans l'impasse face à son peuple qui ne décolère pas. Il y a tout juste un an, Mohamed Bouazizi s'immolait par désespoir de cause, mais sans se douter, un seul instant, que son geste allait provoquer l'un des plus grands bouleversements du Monde arabe. Le désespoir du jeune Bouazizi a fait descendre des millions de Tunisiens dans la rue pour hurler leur colère. Le souffle de la révolte du Jasmin a fini par emporter Ben Ali. Mais pas seulement. Le parfum enivrant de la liberté s'est propagé du Caire à Rabat, poussant les peuples arabes à s'approprier les rues, les places…, tout simplement leur pays. Pour remercier le vendeur de fruits et légumes, des milliers de Tunisiens, dont le président Moncef Marzouki, se sont rassemblés hier à Sidi Bouzid pour commémorer le premier anniversaire du soulèvement populaire. Un monument commémoratif, représentant le chariot de Bouazizi entouré de chaises vides en symbole des présidents arabes déchus, a été dévoilé sous les applaudissements d'une foule compacte. «Merci à cette terre qui a été marginalisée durant des siècles, pour avoir rendu la dignité à tout le peuple tunisien», a lancé le président tunisien avant d'ajouter : «Notre rôle est de vous rendre la joie de vivre qui vous a été volée par les despotes. Sidi Bouzid doit être au même rang que les autres régions développées du pays.» Des drapeaux de la Tunisie, des portraits des «victimes de la Révolution», ainsi qu'une photo géante de Bouazizi ont orné le centre de Sidi Bouzid où des syndicalistes, des militants de droits de l'Homme tunisiens et arabes, ainsi que des membres de l'Assemblée constituante ont pris le micro pour rendre hommage à tous les «martyrs» de la Révolution. Le Parlement européen a tenu, lui aussi, à rendre hommage à Mohamed Bouazizi en lui discernant le prix Sakharov à titre posthume. Mohamed Bouazizi a provoqué le Printemps arabe. Le changement a eu lieu, et plus rien ne sera comme avant. Mais est-ce que les jeunes tunisiens, qui ont occupé l'avenue Bourguiba, ceux qui n'ont pas déserté la place Tahrir ou encore ceux qui meurent sous les balles du régime syrien sont les gagnants de ces révoltes ? En Tunisie, les enfants de Sidi Bouzid attendent toujours la création de l'emploi, alors que ceux d'Egypte comptent de nouveau leurs morts à la place Tahrir où la violence a refait son apparition. En Libye, le chemin de la paix reste toujours introuvable entre la prolifération des armes, la montée en puissance des islamistes et la guerre des milices. Il est vrai que Rome ne s'est pas construite en un jour, comme il est vrai que ce ne sont pas ceux qui l'ont construite qui l'ont habitée. C'est de même pour la liberté. Ce n'est pas ceux qui ont risqué leur vie pour la liberté, qui vont forcément en récolter les fruits ; mais, comme de coutume, les mouvements structurés en tirent profit. Les dés sont jetés. Il faut laisser le jeu démocratique se faire, et voir. H. Y.