Le solde de tout compte du Janvierisme sera-t-il effectué un jour par un tribunal helvétique ? Probable, possible même. M. Khaled Nezzar, l'ancien deus ex machina de l'ANP, dieu d'influence issu de la machine du Système algérien, est visé par une enquête de la justice suisse pour «crimes de guerre» durant la «tragédie nationale». C'est la célèbre association genevoise Trial, la Track Umpinity Always, qui a initialement déposé plainte contre l'ancien homme fort du régime. Sur la base du droit suisse, qui permet de poursuivre tout individu reconnu coupable de crime de génocide, de crime contre l'humanité ou de crime de guerre, Trial agit devant les juridictions helvétiques. C'est cette même ONG qui a engagé une procédure contre le leader du MSP, Bouguerra Soltani, en 2009, alors qu'il se trouvait dans le canton de Fribourg pour assister à une conférence islamique. Par la suite, deux présumées victimes algériennes de torture – qui vivent en Suisse – ont également déposé plainte et se sont constituées partie civile. Entendu par le Ministère public de la Confédération (MPC) en octobre 2011, le Général emblématique a été laissé libre sur la base de promesses de se présenter durant la suite de la procédure. Naturellement, l'ancien ministre de la Défense et membre de la pentarchie que fut le Haut Comité d'Etat (HCE, 1992-1994), a le droit absolu, avec une garantie suisse, à la présomption d'innocence. Le débat n'est toutefois pas à ce niveau. La suite politique et médiatique en Algérie est encore plus digne d'intérêt. Depuis son retour au pays, le général loquace de la grande muette a parlé ou plutôt écrit. Il a nié en bloc toutes les accusations. Le général, écrivain prolifique par ailleurs, a revisité l'histoire de l'Algérie depuis janvier 1992. A sa manière, c'est-à-dire de la même façon qu'il le fait depuis toujours. En sauveur démiurgique de la République face au péril vert annoncé. Si l'ancien patron de l'armée algérienne n'a rien perdu de sa faconde virile, comme en atteste un de ses pensums publiés par un relais médiatique, la diffusion d'une pétition de soutien au général, suscite de légitimes interrogations. D'habitude, même pour battre en retraite, le généralissime Nezzar le fait avec d'autres moyens que la pétition qui, comme chacun le sait, n'est pas un canon de 155mm. C'est adâafou el-imane, c'est-à-dire la défense de la plus faible foi. La sémantique utilisée par les pétitionnaires, 180 à ce jour, est en elle-même un aveu de taille : c'est l'expression d'une faiblesse, d'un malaise, d'un désarroi ou même d'une impuissance à trouver la bonne parade face à l'action de la justice suisse. Les signataires, d'horizons divers, issus de clientèles agissantes, déclassées ou reclassées du régime, proches d'une de ses parties ou redevables au Général, ont sorti l'artillerie lexicologique lourde. Parlant à la fois au nom du peuple et de l'Etat algériens, ils menacent la confédération helvétique de «conséquences néfastes sur les relations entre les peuples algérien et suisse», si la procédure contre le Général débouchait sur une condamnation. Ils s'érigent aussi en défenseurs de la dignité d'un peuple qui aurait été bafouée du fait même de l'ouverture d'une enquête contre Citizen Nezzar. L'attitude de la justice suisse est même jugée attentatoire à la souveraineté nationale par les pétitionnaires qui exhortent les autorités algériennes à faire pression sur le gouvernement fédéral pour stopper la procédure. Il y a manifestement chez les uns et les autres une certaine méconnaissance de la réalité de la séparation des pouvoirs en Suisse, les pétitionnaires semblant confondre les deux magistratures algérienne et suisse. Ou, peut-être qu'ils font justement le distinguo, puisque la possibilité d'un procès est réelle. De même qu'une procédure in absentia est possible au cas où le Général manquait à sa parole d'obtempérer à une convocation d'un tribunal suisse. La menace est donc réelle. Et c'est probablement cette possibilité judiciaire qui semble susciter les craintes de tous ces avocats spontanés du général. Mais, en filigrane, l'appréhension la plus forte, serait celle de voir, à travers l'illustre personne du premier général d'entre ses pairs, se dérouler un jour le procès politique du Janvierisme et de certains Janvieristes. Vue sous ce jour, la pétition acquiert tout son sens politique. Si les soutiens du Général ont eu recours à la pétition, c'est que le temps où la République mobilisait ses grands moyens pour l'exfiltrer de France, en 2001, à la suite d'une plainte similaire, semble révolu. La pétition serait un signe tangible que la cosmogonie janvieriste n'est plus cohérente et soudée comme une troupe vaillante sur le champ de bataille. Ce fut vrai en d'autres temps. Mais quelque chose semble avoir changé. Quelque chose dit que le général aborde en solitaire une course de fond. Jusqu'ici, il n'a pas été défendu publiquement par d'anciens compagnons d'armes, a fortiori par un Janvieriste à la retraite ou encore en activité. La Suisse, paradis bancaire et fiscal, ne paraît plus aujourd'hui un havre de paix pour tous les grands nantis de la République algérienne. Ces bienheureux qui adorent le Lac Majeur, le Lac Léman, le chocolat suisse et qui, comme l'ancien général majeur de l'ANP, aiment les psychothérapeutes helvétiques, connus pour détenir des armes secrètes contre le goudron et la nicotine. N. K.