Les galeries d'exposition, quand elles existent, sont vides, à l'exception du jour du vernissage, parce que tous les ami(e)s de l'artiste qui expose sont là, et encore, les invités, occupés à discuter le bout de gras, tournent le dos aux œuvres. Même topo pour les théâtres qui s'emplissent seulement à l'occasion d'une générale à laquelle assiste toute la famille du 4e art. Les musées sont tout aussi vides. Quant aux rares salles de cinéma encore opérationnelles, leurs seuls clients sont en majorité de jeunes couples qui y viennent non pour voir le film mais plutôt pour profiter de la pénombre… Les librairies ne sont pas mieux loties. Et les bibliothèques reçoivent principalement des étudiants et des lycéens qui s'y rendent pour réviser ou travailler sur des devoirs scolaires. Par contre, les spectacles musicaux font le plein. Il arrive même que les salles se révèlent exiguës pour contenir tous les spectateurs qui se déplacent pour voir le concert. Pourquoi un tel déséquilibre dans la fréquentation des espaces culturels ? Première réponse qui vient à l'esprit : c'est le côté festif des concerts et de la musique, qu'on ne trouve pas dans les autres œuvres et productions artistiques, qui attire les spectateurs, essentiellement les jeunes. Pour s'intéresser à une toile, une pièce de théâtre, un livre, un film ou des artefacts, il faut être un «initié» pour pouvoir comprendre le langage artistique utilisé qui vous permet de décrypter l'œuvre, et l'apprécier ou pas, mais trouver tout de même plaisir à le faire. Mais la science infuse n'étant qu'un beau mythe, l'initiation est donc un passage obligé. Comme le dit si justement un adage populaire «Cheikh b'la cheikh mahou cheikh» qu'on pourrait traduire «ne peut être maître celui qui n'en a pas eu». Et c'est là que le bât blesse. L'éducation, l'initiation et/ou la formation artistique est le parent pauvre de la culture en Algérie. Jeunes, les enfants n'apprennent à l'école que le «par cœurisme». Les instruments de musique, les toiles, les palettes, les saynètes et les livres sont depuis longtemps exclus des programmes de l'Education. Adolescents, ils sont mis sur les rails grâce à la multiplication des canaux et véhicules de diffusion de cette culture fast-food qui les formate pour en faire des adeptes du festif. Seuls quelques-uns s'initient à un art, parce que leurs parents, qui peuvent assumer les frais induits, les y incitent. Une fois sur la voie, les jeunes apprenants finiront artiste et pousseront la formation, sinon deviendront de bon «consommateurs» d'arts. Mais, comment s'initier quand les espaces d'initiation sont inexistants. Les quelques conservatoires, écoles et instituts qu'on a sont concentrés dans les grandes villes, et, souvent, mal équipés. Les décideurs qui tiennent les cordons de la bourse préfèrent miser sur les manifestations médiatiques et médiatisantes qui décorent bien la vitrine culturelle. Finalement, il ne s'agit pas d'avoir des bœufs et une charrette ni même de savoir si on a mis cette dernière devant ou derrière les premiers, mais plutôt quel charretier on mettra aux rênes, quel bouvier se chargera de l'attelage et surtout ce qu'on mettra dans cette charrette. Et tout ça est défini par une politique culturelle de l'Etat. Autrement dit, une politique qui implique tous les ministères concernés par la socialisation de la culture. H. G.