Les sauveteurs poursuivaient leurs recherches, lundi soir, dans l'épave du Costa Concordia, dont le naufrage sur l'île italienne du Giglio a fait au moins six morts et risque de provoquer un «désastre» écologique. Le gouvernement s'apprête à déclarer l'état de catastrophe naturelle sur la zone, ce qui «implique que toutes les opérations liées à cet accident sont d'intérêt national et requièrent la participation des institutions nationales, du gouvernement et de la Région», a expliqué le ministre de l'Environnement Corrado Clini.Les recherches d'éventuels rescapés et des disparus se sont poursuivies jusque tard dans la soirée de lundi après une interruption de trois heures à la mi-journée à cause d'un orage et de la houle qui menaçaient de faire glisser le navire, couché sur des rochers à moins de 50 m de la rive, vers des hauts fonds. Elles devaient être interrompues pour la nuit après une exploration sans relâche à l'aide de puissants projecteurs. Le Concordia qui transportait 4229 personnes, quelque 3200 touristes et un millier de membres d'équipage, a fait naufrage, vendredi soir, après avoir heurté un rocher près de l'île du Giglio, en Toscane (centre-ouest).La catastrophe a fait au moins six morts, dont quatre touristes, deux Français, un Italien et un Espagnol, et un homme d'équipage péruvien. La sixième victime, un homme, a été localisée, lundi dernier, à l'aube mais non identifiée, car son corps n'a été extrait qu'en début de soirée. Jusqu'à présent, les sauveteurs parlaient d'une quinzaine de disparus, dont quatre touristes italiens, deux Américains, deux couples de Français, et 6 membres d'équipage. Le département d'Etat américain a lancé un avis de recherche sur le couple américain, Gerald et Barbara Ann Heil. Mais le nombre de personnes manquant à l'appel pourrait être plus élevé, car lundi, un porte-parole allemand a chiffré à «un nombre à deux chiffres vers le bas de l'échelle», soit autour de 10, ses compatriotes, probablement tous des touristes, manquant à l'appel. Outre la tragédie humaine, les autorités s'activent pour éviter un «désastre» écologique avec la fuite des 2.380 tonnes de carburant qui se trouvent dans les entrailles du mastodonte, en équilibre sur des rochers à moins de 50 m de la côte. En milieu d'après-midi, un liquide huileux s'est écoulé aux abords de l'épave sans qu'il soit possible de déterminer s'il s'agissait de carburant. Le naufrage comporte «un très haut risque» pour l'île du Giglio, entourée d'une réserve naturelle protégée, et «une intervention est urgente» pour éviter que le «carburant, du gazole dense et lourd, ne s'écoule du navire», a déclaré le ministre de l'Environnement, Corrado Clini. Une équipe d'experts de la société néerlandaise Smit&Salvage tente de mettre le navire en sécurité, en disposant des bouées jaunes en forme de saucisses. Le maire de l'île Sergio Ortelli a confié redouter cette «bombe écologique». En attendant, le commandant du Costa Concordia, Francesco Schettino, est de plus en plus dans la ligne de mire. En détention à Grosseto (centre) en raison d'un «risque de fuite et de dissimulation de preuves», Francesco Schettino a été placé sous surveillance spéciale avec l'aide d'un psychologue lundi, même s'il «n'a pas manifesté d'intentions suicidaires», selon une responsable de l'administration pénitentiaire. Un enregistrement d'une de ses conversations avec la capitainerie du port aggrave les éléments à charge contre lui en montrant qu'il a quitté le navire bien avant le dernier évacué contre toutes les règles en vigueur dans la marine et a même refusé de remonter à bord. «Commandant, c'est un ordre, c'est moi qui commande maintenant, vous devez aller à la proue, remonter à bord et coordonner les secours», intime un officier de la capitainerie à M. Schettino, selon une retranscription diffusée par l'agence Ansa.L'avocat du capitaine, Me Bruno Leporatti, qui lui a rendu visite lundi, l'a décrit comme «accablé par les pertes humaines et fortement perturbé par ce qui s'est passé», en affirmant que M. Schettino estime avoir «conservé la lucidité nécessaire» pour faire s'échouer le navire près de la rive, «sauvant la vie de nombreuses personnes».De nombreux témoignages sont néanmoins accablants pour le capitaine, soupçonné de s'être approché bien trop près des côtes pour effectuer une parade, surnommée l'«inchino» (la révérence), toutes lumières allumées et à grand renfort de sirènes afin de saluer les habitants de l'île.Le patron de Costa Crociere, société propriétaire du paquebot, a également dénoncé une erreur «humaine» et s'est «dissocié» du commandant, lundi au siège de la compagnie à Gênes (centre de l'Italie), où les drapeaux étaient en berne. Emu aux larmes, Pier Luigi Foschi a rendu un hommage appuyé aux membres d'équipage «qui se sont tous comportés en héros» et ont réussi à évacuer «plus de 4000 personnes en deux heures».Le P-DG de Costa Crociere (groupe américain Carnival) a affirmé que la trajectoire qu'a décidé de prendre le commandant était «une initiative de sa propre volonté, contraire aux règles écrites, certifiées» par la compagnie. De nombreux témoins ont continué de dénoncer un chaos complet lors de l'évacuation du navire. «Chacun ne pensait qu'à sauver sa peau, les membres d'équipage avaient oublié qu'ils devaient rétablir l'ordre et se bousculaient pour fuir avant nous», a affirmé Artur Silva, un passager portugais de 63 ans au Correio da Manha. La catastrophe, qui rappelle le naufrage du Titanic cent ans après la tragédie, a aussi son lot de héros. Tel le commissaire de bord Manrico Giampietroni qui a sauvé des dizaines de personnes avant de tomber dans un trou, se fracturant une jambe. «Je n'ai fait que mon devoir», a sobrement commenté M. Giampetroni qui a été secouru après avoir passé 36 heures bloqué dans l'épave.Un couple de jeunes mariés sud-coréens, qui a pu lui aussi être sauvé, a raconté son cauchemar à l'agence sud-coréenne Yonhap. «Lorsque nous nous sommes réveillés, le bateau penchait», a déclaré Han Ki-Deok, 29 ans en voyage de noces avec Jeong Hye-Jin. Ils ont survécu pendant 30 heures dans le froid et le noir, se nourrissant de biscuits et de chips.Une Argentine de 72 ans a dû nager pour sauver sa vie, tandis que de nombreux passagers ont vu leur dernière heure arrivée. «Je me disais, c'est la fin. Ma vie va s'arrêter ici», a raconté Mandy, une Anglaise de 45 ans.Le croisiériste américain Carnival, dont le titre a perdu en une séance 16,46% à la Bourse de Londres, a chiffré entre 85 et 95 millions de dollars l'impact immédiat sur ses comptes du naufrage.L'Organisation maritime internationale (OMI), qui dépend de l'ONU, a estimé qu'il fallait «tirer les leçons» de la catastrophe et «si nécessaire» revoir les règles de sécurité sur les grands navires de passagers. En raison de la catastrophe, elle a annulé lundi des commémorations pour le centenaire du naufrage du Titanic en avril 1912.Prémonition ou ironie du sort, le commandant Schettino avait déclaré en 2010 à un journal tchèque: «Je ne voudrais jamais être dans le rôle du commandant du Titanic». L. M.