La situation en Syrie à atteint point de non-retour après le massacre de plus de 240 personnes à Hama par les forces de sécurité, dans la nuit de vendredi à samedi dernier, c'est-à-dire le jour même de la commémoration du massacre commis par Hafez al-Assad en 1982 sur les civils de cette province du centre du pays. Al-Assad fils n'a fait donc que récidiver et réaffirmer la nature sauvage de son règne qui semble lui avoir été transmise par son défunt père, qui n'a jamais été inquiété puisque il avait sous sa main le parti Baas (au pouvoir depuis des décennies) et les milices armées qui ont terrorisé le peuple syrien depuis toujours. Ces mêmes milices sont aujourd'hui mises à contribution pour réprimer les opposants qui se montrent de plus en plus radicaux à l'égard du régime de Damas. Hier encore, une trentaine de personnes ont été assassinées par les forces de sécurité, dont une quinzaine dans un bombardement de l'armée sur Homs. L'armée syrienne libre (ASL), composée de soldats déserteurs, continue aussi ses affrontements avec l'armée régulière qui trouve ainsi un prétexte pour bombarder des civils, permettant ainsi à Bachar al-Assad de nier sa responsabilité dans la mort de près de 6 000 personnes. L'échec de l'Onu à adopter de nouvelles sanctions contre Damas constitue aussi un semblant d'autorisation pour le régime syrien de tuer des civils en les bombardant dans leur sommeil après une journée de manifestations extrêmement violentes. La Russie a opposé son veto contre l'adoption du plan arabe demandant le départ de Bachar al-Assad et l'installation d'un gouvernement de transition pour mettre fin aux massacres, devenus routiniers, face à une communauté internationale divisée sur la manière de résoudre la crise politique dans ce petit pays à la position stratégique au Moyen-Orient. Officiellement, Moscou justifie sa position par le fait que les six mille morts enregistrés en Syrie depuis le début de la contestation à la mi-mars dernier, ne sont pas seulement le résultat de la répression sauvage des manifestants. La Russie est convaincue que les violences viennent de la part du régime et des opposants et, du coup, il ne faudrait pas accuser une seule partie. Autrement dit, Moscou apporte son soutien indirect à Bachar al-Assad, qu'elle blanchit indirectement des morts civils. Mais pourquoi ce soutien quasi-total de la Russie à la Syrie ? Russie-Syrie, une amitié de longue date Les relations bilatérales entre la Russie et la Syrie ne datent pas d'aujourd'hui. Bien qu'elles soient marquées par des crises, les rapports entre les deux pays n'ont pas cessé de se consolider depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Seul pays du Moyen-Orient à ne pas pencher du côté de l'Occident, la Syrie constitue le meilleur allié pour la Russie dans la région. La Syrie sert de porte d'entrée au marché de la région pour une Russie qui éprouve, comme le reste du monde, le besoin d'étendre son influence sur de nouvelles zones. Mais la Russie ne joue plus l'argument idéologique. Moscou compte sur l'argent, c'est-à-dire l'économie, pour s'imposer, à une époque où de nombreux pays se constituent en blocs économico-politiques pour assurer leur présence sur tous les continents. Ainsi, depuis 2004, la Russie et la Syrie ont signé de nombreux contrats de coopération dans tous les domaines, y compris en politique. Damas était le seul pays à appuyer l'intervention militaire en Géorgie en août 2008, après la Biélorussie. En échange, la Russie est tenue de soutenir la Syrie en cas de danger intérieur ou extérieur sur sa sécurité. Moscou est contrainte donc aujourd'hui à respecter ses engagements, mais au lieu d'un soutien inconditionnel, ce qui serait complètement indigne, les autorités russes préfèrent faire pression sur Al-Assad sans le livrer aux autres forces occidentales qui veulent sa tête afin de mettre fin au drame du peuple syrien.
Echanges économiques La Russie détient d'importants intérêts économiques en Syrie, notamment pétroliers, même s'ils sont de moindre importance par rapport à l'Iran et aux autres pays voisins de l'ancien empire soviétique. Si on examine de près le volume d'échanges économiques entre la Syrie et la Russie, on comprend encore mieux l'attitude hostile du gouvernement de Medvedev et de son Premier ministre Poutine, qui se proposent à jouer les intermédiaires dans la crise interne qui secoue la Syrie depuis le 15 mars 2011. D'abord, Moscou craint que le scénario de la guerre «humanitaire» de l'Otan en Libye se reproduise en Syrie. Et la Russie veut sauvegarder ses parts de marché en Syrie qui se chiffrent en milliards de dollars actuellement. En 2001, les échanges syro-russes s'élevaient à seulement 152,7 millions de dollars. fin 2008, ce chiffre a frôlé la barre des 2 milliards de dollars. La Russie a investi, depuis 2005, près d'un milliard de dollars dans le secteur pétrolier en Syrie, dans la cadre d'un accord de coopération entre une filiale du géant gazier russe Gazprom et la Syrian Gas Compagny. La compagnie petro-gazière russe ITERA a manifesté son intérêt pour réaliser le projet de gazoduc arabe qui reliera l'Egypte et la Turquie en passant justement par la Jordanie et la Syrie. L'autre société russe, Stroytransgaz, a déjà signé des contrats pour la construction d'une tranche de 324 kilomètres de cette canalisation, selon Ria Novosti, l'agence d'information moscovite.
L'armement russe pour la Syrie Depuis le début de la crise politique syrienne, les capitales occidentales se sont montrées inquiètes sur le risque d'une prolifération du marché des armes à Damas. Le voisin iranien avait été ouvertement accusé d'affréter un bateau d'armes légères pour aider Al-Assad à mater les manifestants. Téhéran avait démenti cette information qu'elle a qualifiée d'énième provocation des Etats-Unis et de leurs alliés occidentaux pour lui déclarer la guerre. Après cet incident, qui n'a pas duré longtemps, les capitales occidentales se sont tournées vers le principal fournisseur d'armes à la Syrie, en l'occurrence Moscou, pour lui a demandé d'arrêter ses livraisons en attendant que la situation revienne à la normale. La Russie qui avait perdu son client libyen au lendemain de l'intervention militaire de l'Otan à Tripoli, n'a pas voulu perdre aussi ses intérêts en Syrie. Le Kremlin a donc décidé d'honorer ses engagements envers Damas en poursuivant ses livraisons d'armes, malgré la pression occidentale et des Nations unies le priant de revenir sur sa décision. La semaine dernière, alors que l'armée syrienne continuait ses massacres contre les manifestants, le chef de la diplomatie russe a réaffirmé que son pays n'avait aucune intention de reculer, estimant que les autorités de Damas sont dans leur droit de réagir contre les violences de certains membres armés de l'opposition qui ont rejoint l'ASL. La Russie affirme aussi que les armes exportées vers la Syrie sont de type défensif. Mais au-delà de ces déclarations rassurantes, la Russie veut sauvegarder son marché d'armement en Syrie qui représente 10% de ses exportations totales d'armes. En 2008, le président russe, Medvedev, avait déclaré que «les exportations d'armes de la Russie ont atteint un record de 8,35 milliards de dollars, soit 800 millions de plus qu'en 2007». Mais il s'était interdit de divulguer les détails des différents contrats signés avec son homologue syrien, qui utilise l'arme lourde pour rester au trône. La Russie va-t-elle donc lâcher le régime de Damas même si elle risque de perdre ses parts de marché en Syrie ? Il serait en fait difficile à Moscou de sacrifier ses intérêts économiques et géostratégiques dans la région juste pour courir au secours du peuple syrien. En résumé, la Russie se comporte, dans le cas syrien, comme se comporte l'occident avec certains de ses alliés dans le monde arabe. Autrement dit, la crise syrienne n'est que la preuve de la déroute morale de la communauté internationale face aux drames d'une grande partie de l'humanité. L. M.