Assises à même le sol près d'une tente dans le désert de l'Ahaggar, les femmes de la région de Tin Tarabine, à 400 km au sud de Tamanrasset, déclament des poèmes targuis ancestraux autour de la doyenne de l'imzad, tout en accompagnant leurs chants de mélodies profondes et envoûtantes de l'instrument qu'elles ont aussi appris à fabriquer.C'est dans ce décor – authentique pour les locaux, exotique pour le voyageur – que se dresse ce centre de formation à ciel ouvert qui œuvre pour la transmission de l'art ancestral de l'imzad à l'initiative de Shtima Bouzad, musicienne et enseignante dans cette lointaine localité.Vingt ans durant, Shtima aura travaillé à la formation et à la transmission du jeu, de la poésie et de la fabrication de l'imzad (un instrument monocorde exclusivement joué par les femmes targuies), avant de se retirer au début des années 1990. Mais à cette période, il ne restait que cinq musiciennes à maîtriser l'imzad.Shtima Bouzad a bâti une zriba (une hutte près de son domicile), une école en plein air, dans la localité de Tin Tarabine où elle accueille depuis 2003 toutes les personnes intéressées par le jeu, la fabrication et la poésie de l'imzad.Cette initiative soutenue par l'Opna (Office du parc national de l'Ahaggar) et le ministère de la Culture a permis la formation de 40 jeunes femmes qui sont aujourd'hui toutes habilitées à former d'autres personnes au jeu et à la fabrication de l'Imzad.Ce legs mémoriel, commun à toute la société targuie, a pratiquement disparu dans les pays voisins, notamment le Mali et le Niger, où il ne reste plus que deux joueuses de l'imzad connues.Située à proximité de la frontière algéro-nigérienne, l'école de Shtima rayonne sur le Mali et le Niger grâce à ces élèves qui circulent beaucoup d'un pays à l'autre à l'occasion de visites familiales.Cet instrument et toute la poésie qui l'accompagne étaient appelés à disparaître sans le travail des associations Sauver l'imzad et Les amis du Tassili quiont réussi à attirer l'attention des pouvoirs publics et des organisations non gouvernementales (ONG) sur l'urgence de préserver ce patrimoine mémoriel. L'association Sauver l'imzad a fini par instituer en 2009 les Rencontres internationales sur l'imzad ainsi que des classes de formation à cet instrument ancestral dans le cadre de la formation professionnelle.Cette formation à l'imzad a été mal perçue par la population locale qui a entamé ce cursus en ayant des perspectives professionnelles, selon des habitants de la région, alors que l'initiative a pour but la préservation de ce patrimoine.Cette même association a inauguré, en novembre 2011, Dar l'imzad ou la maison internationale des artistes, à Tamanrasset. Un lieu d'enseignement et d'échange pour les artistes non encore opérationnel. Néanmoins, un spectacle inespéré s'est tenu à Tamanrasset durant le Festival international des arts de l'Ahaggar et où un espace imzad était animé sous un ahakit (tente targuie) par Shtima Bouzad, son frère et deux Messas n'Imzad (jeunes joueuses d'Imzad) nouvellement formées ainsi que par une artiste malienne.Ce patrimoine immatériel poétique et musical fait l'objet aujourd'hui d'une opération d'inventorisation, d'enregistrement et de traduction par l'Opna dans le cadre de la préparation des dossiers de classification à l'Unesco.Par ailleurs, le jeu de l'imzad possède un caractère très intime et très familial tant «on ne doit pas le présenter sur une grande scène, mais à préserver dans son environnement naturel», explique M. Farid Ighilahriz, commissaire du Festival international des arts de l'Ahaggar. De ce fait, l'enseignement de l'imzad, «un art très profond et fragile, devrait lui aussi se faire dans un milieu propice à la pratique de l'imzad afin de ne pas dénaturer les caractéristiques de ce legs millénaire. Il faut aussi éviter de lui donner une quelconque connotation commerciale ou professionnelle», conseille ce cadre.Avec l'aide de son frère, Shtima commence aussi l'initiation des hommes à la poésie qui accompagne le jeu de l'imzad et qui représente dans le milieu familial l'école de la vie.Aujourd'hui, les artistes, comme Shtima Bouzad, sont reconnus comme détenteurs du patrimoine immatériel de la région de l'Ahaggar. L'Opna accorde à ces musiciens le statut de «personne ressource», ce qui implique la transcription écrite, audio et vidéo de tout le legs que ces personnes peuvent transmettre. APS