Photo : Riad Par Noureddine Khelassi L'histoire entre l'Algérie et la France n'est pas seulement une histoire de mémoires conflictuelles, inconciliables et irréconciliables, cinquante ans après la fin de la colonisation. C'est aussi une histoire de dates qui n'ont pas, de part et d'autre, des significations similaires. Le 19 mars 1962, qui n'est pas la dernière date de la colonisation, c'est le cessez-le feu officiel mais pas l'ultime terme du conflit, encore moins la fin de la guerre. C'est même le début d'un nouveau cycle de drames dans les deux camps qui n'ont en pas fait la date officielle de l'indépendance du pays. Depuis le 1er novembre 1954, entre les deux parties, c'est une guerre de terminologie, une guerre de définition juridique de la guerre, une guerre au sujet de la qualification des crimes coloniaux, une guerre des mémoires et un conflit, toujours en cours, sur les archives de la colonisation. Pour les Algériens, la guerre, qui s'est achevée par la proclamation de l'indépendance, le 5 juillet 1962, fut une «révolution», une «guerre de libération», une «guerre d'indépendance». Du point de vue de l'ancienne puissance coloniale, ce furent les «évènements d'Algérie», la «pacification», des «troubles à l'ordre public» et des opérations de «rétablissement de l'ordre public». Longtemps après la décolonisation, la France officielle, droite et gauche confondues, s'emmura dans un refus systématique de reconnaître la guerre comme elle s'était obstinée à nier l'état de belligérance entre la puissance coloniale et le peuple colonisé. La cristallisation de cette position de refus dura jusqu'au 18 octobre 1999, date à laquelle une loi consacra la reconnaissance légale de la guerre d'Algérie. Le droit n'étant que l'admission du politique, cette loi inspirée par le président Jacques Chirac, ancien officier de réserve durant la guerre, admettait implicitement le bien-fondé de la position de l'Algérie qui estimait que l'Indépendance ne lui a pas permis de trouver la souveraineté de son Etat mais de la retrouver.
«Révolution ou événements» ? Le refus de reconnaitre officiellement le statut juridique du mouvement insurrectionnel algérien sinon de le désigner par l'expression euphémique d'«évènements d'Algérie», relevait d'une obstination pathologique. Le déni de réalité et le refus de se souvenir étaient d'autant plus frappants que la France ne commémore toujours pas la fin de la guerre, après avoir engagé un vaste mouvement d'amnistie de tous les auteurs de tous les crimes et de toutes les exactions commises pendant la guerre, jusqu'à la signature des Accords d'Evian et bien après, jusqu'à la proclamation de l'Indépendance. De nos jours, les dates du 19 mars comme celle du 5 juillet 1962, ne sont pas, en France, des dates de célébration de la fin de la colonisation. C'est, de manière politique arbitraire, le 5 décembre, qui a été choisi comme date officielle de l'hommage à tous les morts pour la France en Algérie, au Maroc et en Tunisie, y compris les harkis et autres forces supplétives d'Algérie. Puis vint le temps des mémoires sous tension et de la guerre mémorielle, entrecoupé de brèves séquences d'apaisement et d'éphémères retrouvailles. Entretemps, les deux pays mettaient les archives de la colonisation hors de portée des chercheurs. Jusqu'à aujourd'hui, les archives officielles de la colonisation en général et de la guerre d'Algérie en particulier ne sont que partiellement disponibles et accessibles en France. En Algérie, même si leur volume, leur valeur documentaire et leur pertinence historique sont moins importants par rapports aux fonds détenus en France, elles sont tout simplement inaccessibles. La France a fini tout de même par consentir un effort en la matière même s'il est de modeste portée. Dans les années 1990, les archives de la colonisation et de la guerre d'Indépendance seront ouvertes, notamment celles des armées françaises. En octobre 2007, avec beaucoup de retard, elle restitue également à l'Algérie les plans des mines posées aux frontières tunisienne et marocaine. 8 millions ont été détruites avant la restitution de ces plans, alors que trois autres présentent toujours un danger pour les populations des régions limitrophes. En décembre de la même année, l'Institut national de l'audiovisuel français et la télévision d'Etat algérienne signent un accord sur des images conservées par l'INA retraçant l'histoire de l'Algérie depuis la seconde guerre mondiale jusqu'en 1962. Ces actes de relative bonne volonté, avaient été précédés en 2003 par un geste très symbolique du président français. Jacques Chirac avait alors restitué à son homologue Abdelaziz Bouteflika le sceau du dey Hussein, accaparé le 5 juillet 1830, jour de la reddition du chef de la Régence d'Alger. Auparavant, dans une atmosphère de mémoires apaisées et de réexamen critique de l'histoire de la guerre d'Algérie, une trentaine d'historiens algériens et français, mus par la volonté de sortir des mémoires traumatiques, travaillent ensemble à la rédaction du livre «La Fin de l'amnésie». En matière d'archives, la France fera plus tard un geste plus significatif. La loi du 15 juillet 2008 a en effet raccourci les délais de communication des archives publiques, y compris certaines archives dites de sureté ou de souveraineté dont des pièces classifiées «secret défense» communicables après un délai de 50 ans, alors que ce délai était d'un siècle.
Archives sous scellés En Algérie, et l'historien Mohamed Harbi, lui-même acteur de la guerre d'indépendance, a raison de le souligner, on se passionne depuis toujours pour le rapatriement des archives de la colonisation et de la guerre de Libération. Mais, l'on oublie de dire que les archives essentielles disponibles sont sous scellés. Donc parfaitement inaccessibles aux chercheurs qui continuent de travailler sous la double surveillance du gouvernement et de l'Organisation nationale des moudjahidines (ONM), gardienne sourcilleuse de la mémoire de la Révolution, metteur en scène de la geste héroïque nationale et commémorateur liturgique et lyrique du martyrologe. Alors même que l'Algérie ne possède pas de répertoire national de ses archives, dont l'essentiel est éparpillé aux Etats Unis, en Turquie, en Egypte et en France, les archives militaires de la guerre d'Algérie ne sont pas accessibles aux chercheurs. Exemple en est les archives du MALG, le ministère de l'Armement et des liaisons générales, ancêtre des services de sécurité et de renseignement algériens. Selon des sources dignes de foi et concordantes, plus de vingt tonnes d'archives provenant notamment du CEN, le Centre d'exploitation nationale, plus connu sous le nom historique de Base Didouche de Tripoli en Libye, sont stockées dans des sous-sols de bâtiments appartenant au ministère de la Défense nationale à Alger. C'est bien donc que le président Abdelaziz Bouteflika exhorte à recueillir et à répertorier les témoignages des moudjahidines encore en vie. Mais ouvrir aux chercheurs et aux historiens algériens les archives, y compris les documents militaires, c'est mieux, beaucoup mieux. Pour la mémoire, pour l'Histoire, pour le pays et même pour la démocratie que le chef de l'Etat veut construire à partir du 10 mai 2012, date qu'il a assimilée récemment à un nouveau 1er novembre 1954.