«Nous ne pouvons pas répertorier quelque chose dont nous ignorons l'existence.» C'est en ces termes que M. Abdelmadjid Cheïkhi, le directeur de l'Office national des archives algériennes, a répondu, la semaine dernière, à une question relative aux raisons qui empêchent l'Algérie d'établir son propre répertoire sur les documents et autres ouvrages, tableaux ou films spoliés. Il est donc impossible à l'Algérie de savoir ce qu'elle possède comme biens et documents et de reconstituer l'histoire à partir de faits matériels. Nous savons qu'en plus d'être des moyens de prouver et de garantir des droits, les documents d'archives constituent des sources pour l'historien ou pour quiconque voudrait connaître le passé. Comment peut-on alors produire des historiens ou de l'Histoire sans archives ? Selon M. Cheïkhi, l'Algérie ne possède aucune archive d'avant le XVe siècle et celles relatives aux époques postérieures sont éparpillées un peu partout à travers le monde notamment en France, aux Etats-Unis, en Turquie, en Grande-Bretagne, en Syrie, en Norvège et, de façon générale, dans les pays nordiques. Aux Etats-Unis, il s'agit d'originaux concernant les relations diplomatiques durant la période ottomane, la période coloniale et notamment les relations avec l'Emir Abdelkader. En Grande-Bretagne, il y a un grand nombre de traités. Mais les archives les plus importantes se trouvent en Turquie et en France. Si la Turquie est tout à fait disposée à restituer les archives qu'elle détient sur l'Algérie, la France par contre y met un grand nombre d'obstacles de nature juridique et réglementaire sur fond politique. Abdelmadjid Cheïkhi a déjà annoncé que la Turquie allait restituer à l'Algérie trois siècles d'archives sur la présence ottomane (1518-1830). La Turquie détient ces archives en trois exemplaires ; un manuscrit qui a existé en Algérie, et deux exemplaires détenus en Turquie en langue locale. Les manuscrits détenus en Algérie ont été transférés avec l'invasion du pays par le corps expéditionnaire français, notamment l'état civil. L'Egypte a également remis à l'Algérie une partie des archives sonores de la radio Sawt El Arab qui, durant la guerre de libération entre 1954-1962, relayait, à partir du Caire, l'action des combattants algériens contre l'armée d'occupation française. «C'est le résultat de négociations entamées en 1994. Nous souhaitons récupérer les archives filmées aussi», a indiqué le directeur des Archives nationales.
Que cache le refus de la France ? Restent les archives algériennes détenues par la France. Le refus opposé par cet Etat pour la remise des archives ne peut être expliqué que par la volonté de l'administration française de ne pas permettre aux Algériens d'accéder à leur passé. Selon M. Cheïkhi, la France évoque une disposition de loi imposée après la colonisation : l'Algérie est une terre française et donc l'administration ou encore les employés étaient français. Pour ce pays, tout ce qui a été récupéré entre dans le cadre de la propriété et non pas de l'appropriation. A cela s'ajoutent les textes de loi française qui classent les archives, notamment de l'état civil transféré d'Algérie, et définissent le temps imparti pour qu'elles soient versées dans le domaine public à 100 ans. Ainsi, l'Algérie ne pourra pas, avant cette date, connaître, à titre d'exemple, le nombre exact de personnes assassinées lors des manifestations historiques du 8 mai 1945. Autre disposition de la loi française de 1979, celle des dossiers médicaux, qui ne peuvent être rendus publics qu'à partir de 150 ans à compter de la date de naissance de la personne intéressée. Cela aurait-il un lien avec les actes de torture qui ne peuvent être prouvés faute d'accès aux dossiers qui restent détenus par la France ? D'autres exemples peuvent être donnés sur les dossiers de justice qui mettent à nu la partialité des procès de l'époque coloniale. Il y a aussi les actes notariaux qui démontrent la spoliation par les colons des terres algériennes. La bataille pour le recouvrement des archives est donc une bataille importante et l'Algérie déploie d'énormes efforts à ce sujet, selon M. Cheïkhi. L'Algérie a d'ailleurs mis le Centre national des archives sous la tutelle de la présidence de la République pour mieux démontrer l'importance que porte l'Etat à cette institution. «Nous avons réussi à récupérer des archives administratives, des documents historiques, des dossiers de justice, de trésorerie ou encore des plans des plus importantes constructions. Nous avons également des photographies prises au début du XXe siècle. Mais cela reste insuffisant», a déclaré M. Cheïkhi. L'Algérie a réussi également à récupérer le plan d'implantation des mines antipersonnel auprès de l'administration française. C'était le 20 octobre 2007. La rétention de la France des plans permettant de localiser les mines antipersonnel a duré quarante-cinq ans, durant lesquels des dizaines de milliers d'innocents ont été estropiés. Le directeur des archives avait, rappelons-le, minimisé l'importance des plans de mines remis par le chef d'Etat-major français en indiquant que l'initiative «est venue en retard et ne sera d'aucune utilité sur le terrain». Il avait précisé que les mines implantées par l'armée française le long des frontières est et ouest du pays, «se déplacent de l'endroit où elles ont été plantées, avec le temps». M. Cheïkhi, qui intervenait lors de la commémoration de la Journée nationale du chahid, organisée par les services de Sûreté de la wilaya d'Alger, avait également indiqué qu'il ne pense pas que l'armée puisse s'appuyer sur ces plans, pour les opérations de déminage. Que cache ce refus de la France de restituer aux Algériens leur «mémoire» ? La réponse semble couler de source : un passé peu honorable de la France coloniale et ses crimes contre l'humanité. La «mise à nu», remise à plat pour d'autres, de l'époque coloniale pourrait conduire la France à reconnaître officiellement, au plus haut niveau, l'ensemble des crimes coloniaux durant cent trente-deux ans. Pour l'instant, le geste tardif de la France (remise des plans de mines antipersonnel et d'archives audio) est loin de satisfaire l'attente algérienne : récupérer la totalité de ses archives pour reconstruire la mémoire du peuple, écrire l'histoire de l'Algérie contemporaine. En somme, l'Algérie doit se réapproprier légitimement ses archives pour mieux décrypter son passé. H. Y.