Terroriste islamiste, psychopathe criminel, fou psychotique, moudjahid de l'Islam, fidaï musulman, chahid exemplaire, déjà héros sur le Net passionné : Mohamed Merah, Français d'origine algérienne, est ou n'est pas tout cela à la fois, qu'importe après tout. Ce sont encore plus la mort qu'il a donnée et celle qui lui a été donnée à Toulouse qui revêtent davantage de sens. Contrairement aux dénégations obtuses du président-candidat Nicolas Sarkozy, la mort, que le jeune Toulousain a choisie et scénarisée, questionne nécessairement sur la façon de raconter, comprendre et expliquer l'inadmissible. C'est-à-dire l'escalade vers la folie meurtrière qui s'est exprimée dans la perversion psychopathique. Cette violence-là est la force déchaînée d'un terrorisme individuel et d'un terroriste auto-radicalisé. Elle porte en elle une question essentielle : à quel moment un acteur -manipulé ou pas, conscient ou pas- passe-t-il à l'acte destructeur et autodestructeur ? La question générique amène à une question plus spécifique, à savoir comment une petite gouape des cités, qui n'est pas un fou d'Allah mais qui était fou de rap et de raï, féru de bolides et de bastons de rue, amateur de jolies nanas, consommateur de joints qui ne parvenait pas toujours à joindre les deux bouts, par ailleurs amateur de bières et de prières, a eu des pulsions mortifères ? Malgré son casier judiciaire, très chargé, de petit délinquant, ses séjours afghan et pakistanais, son court passé de taulard et une enfance et une adolescence au cours desquelles il a empilé des traumas, plus tard réactifs, rien ne destinait Mohamed Merah au scénario de l'horreur paroxystique dans sa ville. Les témoignages de son avocat, de ses éducateurs sociaux et de ses copains d'enfance et de quartier, en attestent. Ses amis disent que Mohamed Merah avec qui ils «tenaient les murs» de leur cité, cherchait un job de carrossier automobile, quinze jours seulement avant de tuer et de se faire tuer. Ce garçon, qui a eu une scolarité en pointillés, cherchait quand même à s'intégrer et à se réinsérer après chaque larcin et chaque délit. Il voulait devenir militaire mais l'armée de terre, horrifiée par son casier qui n'était tout de même pas celui de Jacques l'Eventreur ou de Marc Dutroux, lui ferma les portes de ses casernes. Malgré cette rebuffade militaire, le gamin désaxé voulait tenter encore l'aventure à la Légion étrangère, avant de se rétracter. Et même s'il avait écouté le Coran en prison, il ne l'avait pas appris et n'avait rien d'un islamiste radical, même pas un salafiste spirituel, en dépit de ses fréquentations salafistes. Son avocat, ses amis et ses voisins disent qu'il n'a jamais montré quelque penchant pour la martyrophilie. En perte croissante de repères, subissant lui-même des violences et en faisant subir d'autres violences à autrui, il est devenu l'objet d'un mouvement de déliaison dont la névrose de guerre est l'exutoire. La violence de la société discriminante, la violence de la rue et celle des milieux délinquant et carcéral créent la haine de soi. Feu de l'enfer, la haine de soi se transforme fatalement en haine de l'Autre, alimentée souvent par le mépris de l'Autre à l'égard de l'Autre qui est soi-même. Dans le cas de Mohamed Merah et de bien d'autres jeunes désorientés de sa condition, l'Autre, c'est l'Européen, quand ce n'est pas le Juif. Dis-moi qui tu hais, je te dirai qui tu es, et inversement. C'est pourquoi Mohamed Merah semblait être dans une fermeture paranoïaque, à l'image de tant de jeunes des banlieues communautarisées qui n'ont plus rien pour eux. Et quand il n'y a plus rien, ni modèle politique, ni utopie, ni solution, donc quand les représentations du possible s'arrêtent, on explose ! Bruno Etienne, l'émérite sociologue, grand spécialiste de l'Islam et de l'anthropologie du fait religieux, l'a bien expliqué dans «Les Amants de l'apocalypse». Comprendre, toujours comprendre, ce qui ne veut pas dire amnistier. Les parachutistes, tués de sang froid et qui étaient musulmans et d'origine maghrébine comme lui, c'est l'armée française qui s'engage en Afghanistan musulman et qui lui refuse, paradoxalement, une carrière militaire en France. Les enfants juifs de l'école confessionnelle toulousaine symbolisaient à ses yeux un Etat confessionnel qui humilie les Palestiniens. De même, une enfance heureuse enviée et dont il a été dépossédée. Dans son cas, la folie meurtrière n'exclut donc pas le sens. Quoique plus spectaculaire, plus médiatique, mais tout aussi dramatique, le cas de Mohamed Merah rappelle celui du Franco-Algérien Khaled Kelkal, impliqué dans les attentats de 1995 à Paris. Ces deux exemples rappellent tant d'autres en Algérie. Dans l'engrenage infernal de la déferlante terroriste des années 1990, les amants de l'apocalypse étaient, eux aussi, des paumés du petit matin qui déchante tous les jours. Qu'importent leurs noms car ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers à être des Merah et des Kelkal. Désaxés, parfois illuminés, qui ont donné une mort qu'ils croyaient sanctificatrice mais dont ils ne comprenaient finalement pas le sens. L'irréparable est toujours à l'œuvre. Il le sera encore demain si la déréliction des musstadh'âfine, de tous les déprivés de là-bas, d'ici et d'ailleurs, serait le carburant le plus puissant du désespoir meurtrier. N. K.