L'entreprise allemande Q-Cells, autrefois n°1 mondial des cellules photovoltaïques, a déposé son bilan mardi dernier et c'est désormais tout le secteur européen de l'énergie solaire qui s'interroge sur son avenir, alors même qu'il est censé jouer un rôle-clé. Les plans des Vingt-Sept pour le climat, qui prévoient une réduction progressive des émissions de gaz à effet de serre et le renouvellement des sources d'énergie, dépendent en effet pour une bonne part du succès du photovoltaïque, censé également contribuer à la croissance et à l'emploi. L'Union européenne entend produire 20% de son énergie à partir de sources renouvelables en 2020.Avant Q-Cells, d'autres firmes allemandes actives sur un marché estimé à quelque 25 milliards d'euros ont fait la culbute, victimes d'une concurrence chinoise et taïwanaise effrénée qui a entraîné un effondrement des prix. Certains dirigeants d'entreprises montrent du doigt leurs concurrents chinois, qui ont bénéficié de prêts de banques semi-publiques et d'aides directes de l'Etat. «Jusqu'ici nous n'avons reçu aucune plainte, mais si des industriels effectuaient une démarche, nous pourrions lancer des investigations», indiquait, mardi 3 avril, une porte-parole de la Commission de Bruxelles.Le photovoltaïque européen souffre également des mesures de restrictions gouvernementales et des réductions d'avantages décidées un peu partout. Un effet direct de la crise, mais aussi une conséquence du succès non maîtrisé de dispositifs de soutien très généreux. Plusieurs pays, dont l'Allemagne, ont fortement réduit le prix d'achat garanti aux producteurs d'électricité photovoltaïque.La France a décidé, dès décembre 2010, d'un moratoire sur les aides publiques à l'énergie solaire. La ministre de l'écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet soulignait, à l'époque, que 90 % des panneaux installés dans le pays venaient de Chine. Début 2012, elle estimait que les objectifs de puissance installée avaient été atteints, mais pas ceux de créations d'emplois ou de structuration d'une véritable filière industrielle. «Nous avons modifié les aides publiques pour les orienter vers des appels d'offres très technologiques, en soutien aux filières françaises, indiquait la ministre. Il faut que les soutiens financiers servent à créer de l'emploi en France et pas en Chine.» La reprise par EDF, en février 2012, du pionnier du photovoltaïque en France, la société Photowatt de Bourgoin-Jallieu (Isère), placée en redressement judiciaire, aura finalement surtout démontré la grande fragilité du secteur.En Grande-Bretagne, le gouvernement annonçait, fin 2011, la baisse des subventions et du tarif de rachat de l'électricité d'origine solaire par le réseau national. Le groupe d'ingénierie Carillon (4500 emplois) évoquait immédiatement un projet de restructuration. L'ensemble de la filière britannique, surtout composée de PME, emploie quelque 30 000 personnes. En République tchèque, un généreux système de subvention a également été abandonné, comme en Italie ou en Belgique. Dans ce dernier pays, l'entreprise Bekaert, leader mondial du fil d'acier (utilisé notamment dans les panneaux photovoltaïques) se prépare à fermer des unités de production en Belgique et en Chine : elle ne peut plus concurrencer les entreprises chinoises du secteur.L'Espagne se voyait, elle, en leader mondial du solaire. En janvier 2011, un décret a toutefois réduit de 30 % les primes accordées à l'industrie du photovoltaïque et limité le nombre d'heures donnant droit à une subvention. L'objectif était d'économiser 2,2 milliards d'euros en trois ans. Le nouveau gouvernement conservateur annonce la suppression des primes pour les nouvelles installations.La Grèce a, elle aussi, misé sur le solaire depuis 2011, avec l'espoir de rentabiliser au mieux son taux d'ensoleillement, supérieur de 50 % à celui des pays du nord de l'Europe. Un gigantesque projet nécessitant 20 milliards d'investissements vise à atteindre, à terme, une puissance installée de 10 000 mégawatts (MW). Pour parvenir à son objectif - vendre de l'électricité solaire, notamment à l'Allemagne -, le pays aura toutefois besoin d'un soutien européen et d'investisseurs, ainsi que d'une amélioration des réseaux d'acheminement envisagée par la Commission européenne.Cette dernière refuse de se focaliser sur les difficultés actuelles, qu'elle croit passagères. «Nous restons convaincus que le secteur du photovoltaïque demeure porteur et il n'est pas affecté dans son ensemble», affirme Karolina Kottova, porte-parole de la Commission. Pour le reste, souligne un expert, ce sont les Etats qui décident de leur propre politique et doivent en assumer les erreurs. A cet égard, le cas allemand est décrit comme «exemplaire» : le système de subvention à l'installation de panneaux a été financé par une surtaxe sur la facture des consommateurs et a surtout bénéficié aux panneaux chinois. D'où, sans doute, l'impérative nécessité d'une véritable coordination européenne... J.-P. S. In le monde.fr du 4 avril 2012