A l'occasion du mois du patrimoine, célébré chaque année du 18 avril au 18 mai, l'Etablissement art et culture de la wilaya d'Alger a organisé, au Centre des loisirs scientifiques, une rencontre avec l'historien et archéologue, Abderrahmane Khelifa, intitulée «Alger et son patrimoine». Pendant près de deux heures, M. Khelifa a dressé un portrait lucide sur la triste réalité de l'état des lieux du patrimoine d'Alger, en déperdition, en présentant des arguments infaillibles avec preuves à l'appui. L'historien a d'abord synthétisé les plus grandes étapes historiques de cette ville dont la présence d'habitants remonte à près de deux millions d'années. Des diapositives illustreront cet héritage patrimonial séculaire, marqué par la présence des Phéniciens, Vandales, Byzantins, Romains, Musulmans, Ottomans puis Français. Ainsi, depuis des millénaires, Alger est un véritable carrefour de civilisations. Au départ, ce qui était un simple comptoir, puis une petite ville, s'est agrandi au fil des siècles pour devenir une grande ville avec la stature d'une capitale. Abderrahmane Khelifa souligne que toutes ces civilisations ont laissé une trace de leur passage et font partie intégrante de notre patrimoine qu'il est de notre devoir de protéger et de perpétuer, car c'est un trésor inestimable. Il a estimé, à cet effet, que «c'est notre carte d'identité. Chaque fois qu'une maison tombe, c'est une partie de notre identité qui part».Malheureusement, ce patrimoine est en perpétuelle déperdition et avec lui tout un pan de notre histoire commune qui ne peut amener qu'à la déculturation et à la perte des repères identitaires. Le chercheur souligne que cette déperdition s'est accentuée d'une manière drastique dés le début de la colonisation française. Plusieurs bâtisses de l'antique ville- dont des palais et des mosquées- ont été saccagées pour loger les militaires français. D'autres ont été dénaturées, ou tout simplement détruites puis rebâties. Il soulignera que l'occupant français, au lieu de construire une ville à côté de celle qui existait, l'a construite à l'intérieur, détruisant tout sur son passage dont les célèbres cinq portes d'Alger. Pour preuve, il citera les récentes découvertes archéologiques de la place des Martyrs, lors des travaux du métro d'Alger dont les vestiges remontent à l'époque romaine. Après ce voyage à travers les siècles dont le point d'orgue est le massacre commis par le colonialisme français sur le patrimoine d'Alger et son bâti, Abderrahmane Khelifa, parlera d'une menace plus actuelle, celle de la situation alarmante d'Alger. Ainsi , il a présenté plusieurs images de maisons qui tombent en ruines, des façades lézardées, des ruelles défoncées, des fontaines disparues à jamais et des constructions illicites qui portent atteinte à l'âme même de la casbah d'Alger puisque les terrasses n'ont plus cette vue sur la mer et l'horizon. Aujourd'hui , la casbah est marquée par des plaies béantes qui sont les emplacements de bâtisses effondrées transformées en placette foulant au pieds l'essence même des principes architecturaux de l'antique citadelle. Il conclura avec un véritable cri de détresse en soulignant avec force : «Il y a péril en la demeure, les textes ne suffisent pas à sauver la casbah de l'effondrement total s'il n'y a pas d'actions concrètes qui doivent être menées tout de suite. C'est une grande partie de notre identité qui va s'effondrer avec elle.» S. A.