«Pour qu'un suicide en vaille la peine, il faut le fabriquer sur mesure», comme on peut le croire avec le journaliste français Laurent Lemire. Nicolas Sarkozy l'a réalisé, pas à pas, parfois avec une certaine compulsivité. Cet homme portait son propre échec, depuis le début, depuis 2007, même si la crise mondiale et le désir d'alternance qui a fait sortir tous les sortants en Europe, y sont aussi pour quelque chose. Mais qu'importe, la comète Sarkozy s'est éteinte et l'étoile Hollande est née. C'est désormais le destin exceptionnel d'un homme «normal» pour une «présidence normale» qui nous intéresse, nous Algériens, en ce qu'il annonce des perspectives de normalisation de relations jamais normales entre la France et l'Algérie. Tout dans la personnalité de ce feudataire de Corrèze, et beaucoup dans le cheminement politique de ce notable parlementaire, apparatchik socialiste, politique subtilement intelligent et économiste sagace, devraient l'inciter à mettre de la sérénité dans des relations franco-algériennes cycliquement tumultueuses. «Assainir, normaliser, apaiser» les rapports bilatéraux, tel est en substance le message qu'il a fait parvenir aux Algériens durant sa campagne électorale. Sa profonde nature, qui ne le porte pas vers la séduction mais le déporte toujours vers la raison, son volontarisme et son pragmatisme l'inclineraient à aller rapidement mais méthodiquement dans le sens d'une normalisation. D'autres facteurs, relevant d'aprioris favorables, d'une image personnelle positive et d'une côte d'amour naissante en Algérie, sont de nature à l'aider dans son entreprise d'assainissement et de redynamisation des relations franco-algériennes. Cela relève d'un truisme que de dire alors que François Hollande était bien vu à Alger, même si les Algériens, poids de l'Histoire oblige, se sont toujours méfiés des socialistes français. Ce socialiste là, tout en rassurantes rondeurs, ils l'apprécient et l'opinion algérienne l'aime. Il connait la ville pour y avoir effectué un stage de fin d'étude à la fin des années 1970. Pour s'y être rendu à plusieurs reprises. Il y venait tous les quatre ans au titre de Premier secrétaire du PS. Et même quand il se rendait au Maroc, comme en 2006, il prenait soin de faire un détour par Alger. Son premier voyage à l'international, comme candidat à la présidentielle, fut en décembre 2011 à Alger. En empathie, il n'hésite pas à dire «moi, je suis ami de l'Algérie». Un pays avec lequel «la France a un passé, un présent et un avenir» et l'ardente obligation d'entretenir avec lui des «relations exceptionnelles». Le second président socialiste sous la Ve République à un autre lien avec l'Algérie. Il est humain et politique, à travers des hommes de conseil et d'influence, aux racines algériennes parfaitement assumées. Il s'agit d'un trio d'hommes discrets sur lesquels il s'est appuyé durant sa victorieuse campagne électorale. Tiercé dans le désordre qui compte Fawzi Lemdaoui, Nacer Meddah et Kader Arif. Le premier, né en 1962 à Constantine, émigré en France à 10 ans, ingénieur logisticien est l'homme de l'ombre et l'ombre portée de François Hollande. Cet ancien secrétaire national à l'Egalité au sein du PS, maire-adjoint d'Argenteuil, était jusqu'à son élection, son directeur de cabinet pendant la campagne électorale. C'est un démerdard d'une redoutable efficacité, discret, secret, loyal, fidèle et d'une disponibilité à toute épreuve. C'est à lui et non pas à la campagne de sa vie, Valérie Trierweiler, que François Hollande doit son nouveau look avantageux. C'est en effet Fawzi Lemdaoui qui le conseille notamment pour les lunettes, les costumes et les cravates sur mesure. La rumeur parisienne le donne comme futur chef de cabinet à l'Elysée. Le second, ancien SG adjoint de la Cour des Comptes et, surtout, ex-assistant de Bernard Bajolet, alors coordinateur du renseignement français à l'Elysée, c'est Nacer Meddah, fils d'ouvrier kabyle, âgé de 62 ans. Débarqué de son poste sensible à la présidence de la République, il est depuis 2008 préfet de la Seine-Saint-Denis et préfet du Doubs, dont Pierre Moscovici, directeur de la campagne de François Hollande, est député. Proche de Moscovici, Nacer Meddah était SG de la campagne du futur président français. Kader Arif complète le triumvirat algérien. Repéré par Lionel Jospin alors élu de Sainte Gabelle en Haute Garonne, ce puissant président de la Fédération socialiste de cette région, est le patron des élus du PS au titre de responsable de ses fédérations. Né à Alger, en 1959, l'ami de Jospin est aussi un fidèle de François Hollande qui lui a confié le pôle développement et coopération dans son équipe de campagne. Député européen, membre du Bureau national, il est Secrétaire national chargé de la mondialisation et s'investit beaucoup à l'international, notamment sur les questions transméditerranéennes. Kader Arif est réputé favorable à une révision en profondeur des politiques commerciales et migratoires, et à une refonte de l'aide au développement. A Paris, on le donne comme possible ministre de la Coopération. Dimanche soir, lors de la fête de la nuit du destin hollandais, Place de la Bastille, derrière un François Hollande irradié par un bonheur tranquille, les cardinaux algériens de l'ombre étaient sur l'estrade. L'influence de ces trois hommes est telle qu'on parle de plus en plus à Paris d'un éventuel «tropisme algérien» de François Hollande. Après les inévitables déplacements en Europe, François Hollande pourrait effectuer son premier déplacement hors Union Européenne en Algérie. Pour, selon sa propre formule «densifier» des relations qui doivent être toujours «exceptionnelles». Admettre aussi «l'épreuve que la colonisation a été pour le peuple algérien». Egalement, «reconnaître l'Histoire», sans pour autant y présenter des excuses couleur de cendres de la repentance. C'est justement ce que son homologue algérien ne lui demanderait pas. Abdelaziz Bouteflika entend juste travailler avec lui pour un «partenariat stratégique d'exception». Ce serait, le cas échéant, le grand miracle hollandais. N. K.