L'accès à l'ancienne médina d'Alger, à partir de Bab Azzoun ou de la mosquée Ketchaoua permet à tout visiteur, averti ou profane, de voir une cité millénaire dégradée et quasiment figée, dans une position d'éternelle attente, avec l'espoir tout de même de pouvoir renaître un jour de ses cendres. Les ruelles étroites et les maisons encore debout offrent, dès l'abord, un spectacle rebutant et font effet de repoussoir puissant: tas de gravats partout, herbes sauvages, façades béantes, ornements irrémédiablement défraîchis, égouts éclatés par endroits, amas de détritus en tous genres... Pour navrant qu'il soit, ce paysage ne réussit cependant pas à faire oublier les trésors que renferme encore, au double plan matériel et symbolique, ce haut lieu d'histoire et de mémoire du vieil Alger, appelé «El Mahroussa» (La bien gardée) sans vraiment mériter ce nom au regard de son état actuel.La partie basse de ce site antique -qui recouvre plus de 600 maisons et abrite encore 50 000 habitants sur une superficie de plus de 100 hectares- est déjà considérée comme un lieu à haut risque d'effondrement. Ce qui semble être une simple impression est confirmé par l'historien Abderrahmane Khelifa. Selon lui, la Casbah d'Alger, avec tout ce qu'elle renferme comme maisons et monuments, est quasiment «menacée de disparition» si les travaux de restauration n'interviennent pas sans plus tarder. Les textes de loi et décrets adoptés pour sauver la Casbah d'Alger «n'ont pas l'effet d'une baguette magique» tant que «la volonté de sauvetage de cette cité millénaire est absente», estime ce spécialiste en histoire et en archéologie, auteur de plusieurs livres sur des villes algériennes. Le site n'est pas totalement désert, même si des maisons en ruines ont dû être abandonnées par leurs propriétaires. Le lieu est encore récupérable et peut devenir un site à la fois résidentiel et touristique si le plan permanent de sauvegarde est mis en œuvre dans les plus brefs délais, s'accordent à dire des habitants . Ils mettent ainsi tous leurs espoirs dans le plan de sauvegarde de la Casbah d'Alger, site historique classé patrimoine national en 1991 puis patrimoine mondial de l'Unesco en 1992. Pour eux, l'adoption dudit plan aura force de loi pour empêcher toute opération de restauration individuelle qui pourrait altérer l'aspect architectural authentique de la Casbah. La mission d'exécuter le plan, décliné en trois étapes, revient à l'Agence nationale des secteurs sauvegardés, créée par décret en janvier 2011 et dont le directeur général n'est pas encore désigné.La ministre de la Culture, Khalida Toumi, avait fait savoir en mars dernier que les procédures de nomination du directeur de cet établissement public chargé de l'application du plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur de la Casbah d'Alger et des autres secteurs sauvegardés en préparation, étaient en cours. Cette Agence est nécessaire pour la mise en œuvre du plan grâce à une approche en partenariat entre le mouvement associatif et les pouvoirs publics, avait-elle relevé en assurant qu'une équipe composée d'architectes, d'archéologues et de juristes est installée à la citadelle d'Alger pour l'application du plan de sauvegarde de la Casbah, en attendant la nomination du directeur de l'Agence. Des représentants d'associations qui œuvrent pour la sauvegarde de la Casbah, dont la Fondation Casbah, présidée par Belkacem Babaci et l'association des propriétaires d'immeubles de la Casbah d'Alger, dirigée par Ahmed Ouada, attendent «avec impatience» le lancement des travaux de restauration car, estiment-ils, «toutes les conditions sont réunies» pour ce faire. «Ce n'est pas en annonçant l'adoption d'un décret qu'on fera en sorte que les murs ne tombent plus, il faut passer à l'action et savoir prendre les bonnes décisions et y impliquer les compétences», peste, de son côté, l'historien Khelifa en relevant la persistance d'un «grand précipice» entre l'intention et l'action.A ce propos, il cite l'exemple de l'effondrement, en mars dernier, d'un pan d'une vingtaine de mètres de la muraille de la citadelle d'Alger, siège de plusieurs monuments historiques dont le Palais du Dey, pour exprimer son inquiétude des possibles conséquences de cet effondrement sur le reste du site, d'autant plus que, dit-il, «rien n'y a été fait depuis plus de vingt ans». Il déplore aussi la fermeture de ce lieu historique, témoin du célèbre et historique «coup d'éventail» de 1827, au large public depuis plusieurs années pour «travaux de restauration». Insistant, il affirme que «rien n'a été fait de concret pour sauver ce site qui menace ruine» à part des échafaudages comme c'est le cas pour l'ensemble du bâti et autres vestiges de la Casbah.Une lueur d'espoir tout de même: en avançant vers la partie haute de la vieille ville, la vie reprend ses droits, à entendre les doux bruissements des écoliers, les tintements des marteaux d'artisans à pied d'œuvre pour réparer ce qui peut l'être, ou encore les arômes de café ou de galettes chaudes qui se dégagent de certaines maisons encore occupées malgré les risques.Il reste qu'en sillonnant les ruelles de la Casbah de bas en haut, rien n'indique que des travaux de restauration sont entamés en vertu dudit plan, mis à part les étaiements de bois placés pour consolider les murs des bâtisses fragilisées, juste pour parer à l'urgence, un état d'urgence qui dure. APS