Photo : M. Hacène Par Sihem Ammour Ils sont venus nombreux, hier, à se recueillir et dire l'ultime adieu à la diva de l'Algérie, Warda El Djazaïria, dont la dépouille enveloppée de l'emblème national était exposée au Palais de la culture Moufdi-Zakaria, un poète dont elle a si bien chanté les rimes.Sa fille Widad et son fils Riadh, des membres du gouvernement, des personnalités du monde de la culture et aussi des centaines d'anonymes, se sont déplacés pour rendre hommage une dernière fois à celles dont la voix a chanté l'amour, la patrie, mais aussi «chaâb el djazaaïr», ce peuple qu'elle a toujours accompagné dans les moments les plus tragiques, comme dans ceux plus heureux, de son histoire. La dépouille mortelle de Warda El Djazaïria est arrivée vendredi dernier en milieu de soirée, à l'aéroport international d'Alger en provenance de la capitale égyptienne, à bord d'un avion spécial affrété par la présidence de la République. Autour du cercueil, entouré par des femmes de la Protection civile, il y avait les ministres de la Culture, Khalida Toumi, des Affaires étrangères, Mourad Medelci, de la Communication, Nacer Mehal, des Ressources en eau, Abdelmalek Sellal ainsi que le Secrétaire d'Etat auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé de la communauté nationale à l'étranger, Halim Ben Attallah et l'ancien ambassadeur d'Algérie au Caire, Mustapha Chérif. Il y avait également de nombreuses délégations officielles étrangères, dont l'ambassadeur de l'Etat de Palestine à Alger, deux conseillers du roi Mohamed VI du Maroc et des diplomates de pays arabes accrédités à Alger. Fouad El Himma, conseiller de Mohamed VI, chargé des Affaires étrangères, confiera à la presse : «C'est une grande perte non seulement pour l'Algérie mais pour tout le Maghreb, tout le monde arabe. Qui va chanter maintenant pour la liberté ?» Mehdi Boucharef, un ami de la famille dira : «On a perdu une grande dame, c'était une maman pleine d'amour, non seulement pour ses enfants, mais c'était une maman pour nous tous et pour tout le peuple algérien. C'est une diva qui a quitté ce monde, mais elle a laissé son empreinte, elle ne mourra jamais, elle sera toujours parmi nous.» Au fil des heures, des personnalités et des anonymes n'ont pas cessé de défiler devant la défunte pour psalmodier la «Fatiha» et déposer des roses. A plusieurs reprises des youyous fusent dans la salle. Si la majorité des présents était composée de femmes, il y avait aussi de nombreux hommes les yeux rougis par l'émotion. Un père nous confiera : «Je suis venu de très loin pour lui rendre hommage. Je voudrais dire à notre plus belle ‘‘Rose'' que ton parfum sera eternel. J'ai ramené mes enfants pour lui dire nous t'aimerons toujours, au-delà de la peine et de la douleur, et nos enfants perpétuerons notre amour et ton souvenir pour que tu sois éternelle dans nos cœurs.» Son fils Riadh, très éprouvé, n'avait pas la force de faire des déclarations à la presse. Il sort prendre un peu d'air à l'extérieur. Instantanément, une foule s'agglutine autour de lui. Fidèle au comportement de sa mère, toujours bienveillante avec les plus modestes, il serre des centaines de mains d'anonymes, toutes générations confondues, venus présenter leurs condoléances. L'émotion était sincère et poignante lorsqu'une quadragénaire lui a dit : «Soit courageux mon frère, ce n'est pas seulement toi qui a perdu une mère, on a tous perdu une mère. C'était notre mère à nous tous, à tout le peuple algérien, et nous la pleurons tous avec toi.» Une vielle femme, à l'âge très avancé, s'approche de Riadh et tient à embrasser le fils de la diva sur le front. Elle lui dit avec une voix nouée par les sanglots : «Mon fils, ta mère m'a donné le courage de vivre, sa voix m'a accompagnée dans les bons moments de ma vie, mais surtout dans les moments les plus sombres. Sa voix lumineuse m'a donné la force d'avancer, je prierai jours et nuit pour qu'elle aille au Paradis.» Le fils, qui avait du mal à parler, acquiesçait de la tête et serrait des deux mains ceux qui tentaient de lui apporter un peu de réconfort.Parmi les nombreux artistes présents, certains n'avaient pas la force d'articuler une phrase. D'autres rendront un dernier hommage en partageant les souvenirs qu'ils gardaient de Warda. Azzedine Mihoubi, directeur de la bibliothèque nationale, évoquera un souvenir : «En 1984, Cherif Kortbi avec d'autres personnes se sont déplacés en Egypte pour l'inviter à chanter dans le cadre de la célébration du 28e anniversaire du Congrès de la Soumam, à Bejaïa. Elle a tout de suite été d'accord. En plus de chanter gratuitement, elle a donné une véritable leçon d'humilité, car c'était pour la première fois qu'une grande chanteuse accepte de chanter à 11h du matin.» «On espère que maintenant les institutions vont lui rendre hommage en baptisant une infrastructure culturelle de son nom car elle le mérite amplement», ajoutera-t-il. Le visage pâle et les traits tirés, Hamraoui Habib Chawki dira que «Warda, c'est un patrimoine commun à tous les algériens, à tous ceux qui aiment l'art, qui s'identifient dans la bonté, dans l'humanisme et dans la sincérité. Au-delà du fait qu'elle soit algérienne, Warda est un grand symbole de l'art contemporain». Le directeur de l'Onci, Ben Tourki, qui avait à maintes fois rencontré la cantatrice, avait beaucoup de mal à parler. Il soulignera d'une voix éteinte : «Elle était un des plus grands symboles de l'Algérie. Elle est toujours restée Algérienne, au-delà de tout ce qui a été dit, elle n'a pas bougé d'un iota sur sa position et a revendiqué son appartenance à sa patrie et son amour pour le peuple algérien.» Pour le musicologue Abdelkader Bendammeche, «Warda est une grande dame d'une nature aimable, douce et très humaine, très patriote. Je voudrais insister sur le côté patriotique de cette grande chanteuse qui dès le déclenchement de la guerre de libération nationale a chanté pour soutenir la lutte armée de ses frères et sœurs algériens pour l'indépendance de son pays. Bien qu'elle ait été forcée à l'exil par les autorités coloniales, elle a continué à chanter pour la libération de l'Algérie à travers une tournée dans le monde entier. Elle s'était même déplacée en Tunisie pour encourager et soutenir la troupe artistique du FLN. Elle a toujours revendiqué son appartenance à l'Algérie contre vents et marées. Elle était aussi d'une grande culture. En 1999, lors de l'enregistrement d'un clip au Bastion 23, elle m'a épaté, car c'est elle qui m'informait sur la musique chaâbi et ça a beaucoup enrichi mes connaissances à l'époque». Peu avant le départ de Warda pour sa dernière demeure, la ministre de la Culture, dans un ultime hommage, rappellera aux présents que «dès son jeune âge, Warda, a eu le mérite d'avoir porté haut la voix de l'Algérie dans le concert des nations, à travers ses tournées artistiques dans les différents pays du monde arabe». «Elle n'a jamais hésité à offrir sa voix et même ses revenus à l'Armée de libération nationale», ajoutera-t-elle. Avec une voix nouée par les sanglots, au milieu des youyous qui fusaient, Mme Toumi soulignera que «depuis l'aube de la Révolution, jusqu'au dernier souffle de la défunte, dont le cœur battait au rythme de la nation, le nom de Warda El Djazaïria, sa vie et son parcours artistique ont été associés à l'épopée de l'Algérie avec ses espoirs, ses souffrances et ses joies.». S. A.
Hommage de Joseph Ged à Warda El Djazaïria «De Warda El Djazaïria, je garde le souvenir d'une grande dame. D'une Algérienne authentique, qui portait son pays dans son cœur. Cette Algérie avec laquelle elle partagea les peines et les joies et dont elle célébra les victoires.»«Nedjma a eu l'immense honneur de collaborer avec Warda, Allah yarhamha, à deux reprises. Une première fois dans le cadre de notre campagne ‘‘L'Impossible Machi H'na''. Le choix de Warda s'imposait de lui-même, car elle était le modèle par excellence de la réussite algérienne.»«Jusqu'au dernier moment, Warda a répondu présent pour l'Algérie, en cette année du cinquantenaire de l'Indépendance, en chantant ‘‘Mazal Wakfin'', un autre message d'espoir et d'optimisme pour son pays et ses compatriotes, qu'elle chérissait tant.»«Ce que je retiens de notre collaboration, c'est son humilité, son humanisme, son professionnalisme, et surtout sa disponibilité pour son public, pour les Algériens et pour l'Algérie.» Tout au long du tournage, qui a duré plusieurs jours, Warda a fait preuve de persévérance, de patience et de perfectionnisme, afin de produire un spot de qualité. Malgré quelques signes de fatigue, elle n'a pas trébuché un seul instant».«Elle a prouvé un fois encore sa grandeur, son humanité et son amour pour ses compatriotes.»«A Sidi Ghiles (Cherchell), lieu de tournage du spot ‘‘Mazal Wakfin'', elle répondait avec le sourire à toutes les sollicitations des nombreux citoyens qui voulaient l'approcher et immortaliser cet instant avec la Diva de la chanson arabe. C'était le vendredi 30 mars 2012.«La disparition de Warda, la Reine du ‘‘Tarab el Arabi'', est une immense perte pour nous tous mais c'est la volonté de Dieu que nous devons accepter.» «Repose en paix Grande Dame.»