Quelques heures après l'explosion d'une bombe dans la ville italienne de Brindisi, dans les Pouilles, l'Italie s'interroge sur cet attentat qui a coûté la vie à une élève et en a blessé cinq autres. Commentaires, portraits, portfolio, live, vidéos..., le foisonnement des articles sur la question est à la hauteur de la vive émotion suscitée par la mort de Melissa Bassi, 16 ans, alors qu'elle se rendait en cours. A Brindisi, la tension est à son comble, raconte Il Corriere della Sera. Les hommes politiques locaux, qui intervenaient lors d'un rassemblement organisé en réaction à l'attentat, ont recueilli les foudres des manifestants.Sifflements, hurlements, contestations : «Partez, nous ne voulons pas de politiques en collusion avec la mafia, nous ne voulons pas vous écouter. On ne touche pas aux écoles», scandait une foule qui ne s'est apaisée qu'après l'intervention du maire Cosimo Consales : «Le moment n'est pas aux contestations et à l'intolérance, nous devons montrer que nous sommes unis contre les offenses et la menace que nous avons reçues». A l'image de l'élu de Brindisi, beaucoup d'hommes politiques jouent la carte de l'apaisement et de la prudence, explique La Repubblica, qui cite le ministre de l'Intérieur Anna Maria Cancellieri. «Nous avons besoin d'équilibre, la question est très complexe et pas encore définie : les enquêteurs examinent beaucoup d'hypothèses, nous n'avons pas encore de certitudes.»Même message pour Don Ciotti, prêtre actif dans la lutte contre la mafia. «Il faut attendre le résultat des enquêtes. Tout ce que nous devons dire en ce moment c'est qu'une mort de ce genre est inacceptable.»D'autres figures publiques se montrent moins prudentes et diplomates et n'hésitent pas à agiter les spectres du terrorisme, comme l'humoriste et militant de gauche Beppe Grillo sur son blog : «J'ai arrêté de croire aux coïncidences. Les Italiens le pensent, moi je le dis : ça fait un moment qu'on s'attendait à une bombe de ce type, c'était dans l'air comme avant un orage. [...] J'espère que ce n'est pas le début d'une militarisation du territoire, de lois spéciales et de néo-terroristes.» Le fondateur de la Ligue du Nord Roberto Maroni fait encore plus fort : «C'est un acte de terrorisme, probablement mafieux. Il faut trouver tout de suite les coupables et les mettre en prison pour toujours.» Ces différentes réactions font écho aux pistes creusées par les enquêteurs. La Repubblica en dénombre trois : la piste locale — priviligiée ce dimanche matin par les enquêteurs, selon le site local Brindisi Report, le terrorisme, le massacre mafieux. Voire un mélange de ces pistes. Et d'après le quotidien italien de centre gauche, c'est dans cet ordre que les enquêteurs procèdent pour donner une explication au drame : «La thèse de la subversion est douteuse. Celle-ci frappe les symboles, jamais les personnes lambda. Tout comme le terrorisme de droite qui s'en prend aux symboles, les trains, les places, mais jamais les écoles.»L'hypothèse d'un acte mafieux se nourrit elle de coïncidences troublantes : le nom de l'établissement, l'Institut Falcone-Morvillo en hommage au juge antimafia Giovanni Falcone et à sa femme Francesca Morvillo tués dans un attentat. L'approche du vingtième anniversaire de l'attentat qui a coûté la vie au juge, à sa femme et à leurs trois gardes du corps en Sicile le 23 mai 1992. Ou encore la «Caravane de la légalité» qui devait sillonner la région de Brindisi. Mais l'attentat «ne correspond pas aux canons de la Sacra corona unita [la mafia basée dans la région des Pouilles] qui utilise le TNT et non des bonbonnes de gaz reliées à un timer ou une télécommande», explique le chef départemental de la division antimafia Cataldo Motta à la Repubblica. Et la cible ne correspond pas à celle des organisations : «Il pourrait ne pas s'agir de mafia : les organisations mafieuses locales sont à la recherche d'un consensus social. Ce serait un acte contre-productif parce qu'il est certain qu'il annihile toute sympathie pour ceux qui l'ont commis». S'il semble donc difficile de tirer des conclusions hâtives, faute d'une revendication authentifiée, d'autres titres consacrent tout de même des articles entiers à l'hypothèse mafieuse. C'est le cas de Il Fatto Quotidiano, qui parle d'un possible message de Cosa Nostra (la mafia sicilienne) en collaboration avec la Sacra corona unita. «Un message impitoyable mais sophistiqué adressé aux membres de l'Etat capables de le saisir sans devoir le révéler à l'opinion publique.» A l'appui de cette thèse, le quotidien évoque la récente tentative de suicide en prison de Bernardo Provenzano, l'ancien patron de Cosa Nostra et les paroles de son fils, qui à propos de cette détention et de la nécessité de soigner son père rappelait que «la violence génère la violence». «Des éléments qui ramènent aux fractures internes de Cosa Nostra et aux pourparlers entre Etat et mafia», lit-on dans cet article qui mentionne «le point cardinal des requêtes de Cosa Nostra à l'Etat»: l'abolition du 41 bis, l'article du code de procédure pénale italien qui prévoit un régime carcéral strict pour les chefs mafieux. Il Fatto Quotidiano cite aussi Giovanna Montanaro, sociologue et collaboratrice du Procureur national antimafia Pietro Grasso : «Il y a eu une forte et récente reprise de l'activité criminelle locale, liée en partie à la sortie de prison de chefs historiques de la Sacra corona unita. De nombreux signes montrent l'enracinement, le consensus dont bénéficie la Scu. Pourquoi courir tous les risques liés à une action aussi inconsciente et retentissante ? Parce que je crois que la mafia locale n'est pas la seule à être impliquée. Il y a une nouvelle effervescence, les résultats des municipales, une atmosphère de changement, surtout de la part des jeunes. C'est comme si on voulait dire “tenez-vous tranquilles”. J'y vois la signature d'une mafia non seulement locale et peut-être avec d'autres ingrédients. Ce ne serait pas la première fois dans notre histoire.» M. N. in Slate.fr