En débarquant un jour sur planète foot-DZ, coach Vahid Halilodzhic ignorait qu'il allait s'installer en Algérie comme un martien. C'est que le Bosniaque, qui en a vu d'autres, n'a finalement pas tout vu, tout entendu, tout connu et tout subi. Tel un OFNI, objet footballistique non identifié, il est venu parler aux footeux algériens une sorte de sanskrit où les mots, en fait, des paradigmes, ressemblent à quelque chose comme «sérieux», «rigueur», «discipline», «concentration», «préparation physique», «diététique», «hygiène physique et mentale» Il ne lui en a fallu pas plus pour que la planète foot locale se déchaine contre cet empêcheur de roupiller à l'algérienne en rond. Une planète habitée par des olibrius et autres originaux de la presse sportive, des branquignoles-entraîneurs et des pieds-nickelés-dirigeants, dont les dinars exhalent l'odeur âcre de la bouse de vache mal séchée. Coach Vahid, lui a pourtant vécu la guerre civile en Yougoslavie, la kalachnikov en bandoulière. Il a accumulé titres de gloire, lauriers et accessits sur les stades de France, de Yougoslavie, de Turquie, du Maroc et d'Afrique noire, mais ne connaîssait pas l'Algérie du foot, surtout la mentalité régnante. Dis donc, qu'est-ce que c'est que ce nouveau suppôt du néo-colonialisme qui ramenait sa fraise pour faire la leçon et la nique à des «professionnels» qu'il prenait ainsi pour des niquedouilles ? Les procès en sorcellerie et en incompétence sont alors faits à ce musulman dont le vrai culte est celui du travail sérieux, de l'obligation de résultats et de l'exemplarité des comportements. On a même été affreusement scandalisés par ses émoluments en euros, vite convertis en dinars dépréciés pour mieux souligner le crime de forfaiture qu'aurait commis son copain de la FAF, un certain Raouraoua. Il leur avait juste manqué de dire alors que le fils d'Herzégovine-Neretva et l'Algérois de Soustara avaient pillé le trésor du dey Hussein ! Tenez, on dit que l'ancien avant-centre de la belle sélection de Yougoslavie, toucherait un peu plus de 700 000 euros par an, soit quelques 60 000 euros mensuellement. Si on devait se fier à la loi de la relativité de ce diable d'Einstein, c'est beaucoup et c'est très peu à la fois. Mais comparons ce qui peut l'être. C'est qu'on ne va pas faire un parallèle, par exemple, avec le salaire galactique de José Mourinho au Real Madrid ou avec celui de l'entraîneur du PSG, Carlo Ancelloti, grassement rémunéré par des pétrodollars qataris. Non, on ne va pas le faire, car les salaires annuels cumulés, hors primes et autres bonus liés aux droits d'image et au sponsoring, équivalent au budget annuel d'un pays comme le Swaziland. Tenez encore, à titre de comparaison subversive, Eric Geretz, alias le lion belge de Rekem, et ci-après sélectionneur des Lions de l'Atlas marocains, toucherait, selon des hackers marocains qui ont piraté son compte en banque, exactement 332 800 euros par mois. Oui, vous avez bien lu, 332 800 euros par mois ! Soit presque la moitié de ce que perçoit annuellement l'entraîneur national des Fennecs. Voilà, heureusement qu'il y a Einstein et le général Hosni Benslimane de la fédération royale marocaine de football pour ramener le salaire de coach Vahid à sa juste et modeste mesure. Et à l'apprécier à l'aune des travaux d'Hercule que consiste pour lui l'effort d'inculquer aux cigales algériennes les vertus de la fourmi européenne. A sa place, nombre de techniciens européens auraient jeté l'éponge. Ils auraient vite abdiqué face à une adversité dont le moteur est l'absurde, le liquide à frein, l'immobilisme, et le carburant, la volonté de castrer les meilleures volontés du monde. Mais lui, le combattant de Mostar, le moudjahid des terrains de foot, a dit à tous les castrateurs et à tous les médiocrates de planète foot-DZ, en français, en bosnien et en serbo-croate «hna iymout Kaci» Halilodzhic. Il l'a dit d'ailleurs, à sa façon, c'est-à-dire avec sa zenitude habituelle, qu'il poursuivra sa mission car il est homme de devoir et de parole. Qu'il ne succomberait pas aux mirages financiers du Golfe arabe, malgré les offres mirobolantes dont on peut deviner le nombre de zéros après la décimale. L'homme des défis a des objectifs et il s'en tiendra. Sauf si les Torquemada de la presse et tous les zigotos des clubs et des instances nationales du foot redoublaient de férocité pour lui donner le zona et l'urticaire. Il est relax Max et il est digne le Bosniaque. Et pourtant, ce qu'il doit accomplir, à savoir qualifier l'Algérie pour la CAN et le mondial, est une véritable gageure ! Elle relèverait même du miracle quand on sait dans quel état de forme physique et mentale sont les joueurs qui évoluent en Algérie. Des footeux élevés dans la culture de doucement le matin khouya, pas trop vite le soir yarham ouèldik, vas-y doucement mon frère, du moment que les dinars sortent du sachet noir et que le championnat algérien est aussi attractif qu'un feuilleton télé de l'ENTV ! Le pire, c'est que coach Vahid a accueilli aussi des joueurs expatriés ou immigrés qui finissent par être contaminés par le virus de ce que le génie populaire appelle «ragda ouatmangi». Devise de travail des traînards et des petits malins qui veut dire «la vache mange tranquillement tout en faisant sa sieste». Heureusement, le Bosniaque, lui ne dort pas et ne l'entend pas de cette oreille. Et déjà, il a accompli un travail de titan en résistant à la dictature de la médiocrité. En faisant surtout évoluer les mentalités. Rien que pour cela, érigeons-lui déjà une stèle en son honneur, à la Place des Martyrs, à Alger. N. K.