[image] De notre envoyée spéciale à Béjaïa Wafia Sifouane
Après le coup d'envoi remarquable, les Rencontres cinématographiques de Béjaïa, qui soufflent leur 10ème bougie, ont maintenu la cadence et la trajectoire, offrant aux spectateurs, dimanche dernier à la cinémathèque de la ville, une soirée cinéma bien remplie avec la projection de trois documentaires et un court métrage.La soirée sera entamée sur les chapeaux de roues avec le documentaire Nada ver de la réalisatrice Florence Breson. Décalé et étonnant, c'est le moins qu'on puisse dire de ce film d'une durée de 50 minutes produit par Kazak Productions en 2009, Nada ver nous embraque dans un centre de détention au Brésil, plus précisément à la prison de Landoria. Caméra à l'épaule, la documentariste dresse le portrait des détenus ou des «victimes du système» comme ils se plaisent à le souligner. A travers les récits des prisonniers, on découvre la violence et la misère qui minent les grandes villes brésiliennes. Les prisonniers sont relativement jeunes et leurs peines varient de 5 à 30 ans de réclusion. Les gardiens de prison sont également invités à s'exprimer et ils ne se feront pas prier. Face à la caméra, ils parlent de leur travail, leur quotidien, leur vie et leurs rêves les plus fous.Toutefois, malgré l'environnement et le sujet, Nada ver est loin d'être une œuvre sombre. Bien au contraire, le documentaire est gai et coloré où la fantaisie règne en maîtresse. On oublie d'ailleurs vite la grisaille des cellules. Florence Breson donne la parole aux prisonniers et met en scène leurs récits d'une manière très théâtrale et tragicomique. On y découvre, un jeune homme qui rêve de devenir un réalisateur loufoque, un gardien de prison qui ne rêve que de vengeance et pleins d'autres personnages attachants, malgré les délits et larcins qu'ils ont commis. En fait, le public comprendra vite qu'ils sont le produit de la violence, la misère et les souffrances environnantes. Le second documentaire projeté est une œuvre réalisée dans le cadre des Ateliers Ciné-mémoire de création de documentaires. Produit en 2011, J'ai habité l'absence deux fois, de la jeune Drifa Mezenner, a surprit plus d'un par sa sincérité et son thème. En l'espace de 22 minutes, la jeune femme invite le public à une incursion dans sa vie privée et celle de sa famille. Elle emmène le spectateur chez elle et, avec son père, sa maman et son frère Hammoudi, pour partager avec lui leur vision du pays ces dernières années. On découvre des parents meurtris par l'exil en Angleterre de leur fils Sofiane qui a quitté le pays durant la décennie noire. Drifa parle, elle, de ses craintes et sa volonté de voir les choses changer, peut être son seul point commun avec Hammoudi qui, lui, a trouvé refuge dans la religion, poussant la pratique jusqu'à l'adoption de la tenue distinctive et la barbe. Basé sur le texte, ce documentaire est porteur d'une charge émotionnelle très forte. Car chacun peut s'identifier à l'histoire de cette famille tranquille. Qui parmi les Algériens n'a pas été marqué par la décennie noire ? Chacun, à sa manière, certes, mais les séquelles sont toujours là. Peut-on effacer de notre mémoire les dix années de terrorisme, insécurité, suspicions… ? Peut-on espérer un jour le changement qui, s'il ne fait pas oublier aux Algériens la tragédie qu'ils ont vécue, émoussera pour le moins ses pics ? C'est à ces questions là que Drifa tente de répondre, sans jamais donner un dernier mot.Après cette plongée dans l'histoire récente de l'Algérie, les spectateurs auront à découvrir d'autres drames sociaux. Avec le moyen métrage de fiction Sur la route du paradis de Uda Benyamina, on embarque vers la France pour partager le dur quotidien de Leila et de ses deux enfants, Sarah et Bilel. D'une durée de 40 minutes, le documentaire raconte l'histoire de Leila, une jeune femme marocaine qui a quitté son pays avec l'espoir d'avoir une vie meilleure, avec son mari et ses enfants. Seulement, le rêve se transformera en cauchemar. Elle sera abandonnée par son mari qui la quitte pour aller en Angleterre. N'ayant d'autres ressources que celles qu'elle pourra générer, elle se battra et s'efforcera, tant bien que mal, d'offrir une vie décente à ses enfants. Le foyer douillet dont elle rêvait devient un enfer. Leila atterrira dans un camp de Roms où elle se lie d'amitié avec un travestit. Obligée de travailler pour nourrir ses enfants, elle accepte de devenir danseuse dans un cabaret. Après avoir retrouvé la trace de son mari, Leila décide de le rejoindre. Mais elle doit rassembler l'argent nécessaire pour le voyage, argent qu'il est difficile de trouver quand on vit dans un camp de gens du voyage et qu'on travaille dans un cabaret de seconde zone. Elle est obligée de tendre la main. Elle fait la manche. Pis, Leila est contrainte de faire quitter à ses enfants l'école qu'ils n'ont pu intégrer que difficilement, et encore, de manière illégale grâce à la magnanimité et l'humanisme de la directrice. La chute vers les profondeurs se poursuit. La jeune femme va jusqu'à piquer dans la caisse de son patron le dépouillant de 800 euros. Mais au moment où elle croit que la vie lui sourit, le sol se creuse encore sous ses pieds. Renvoyée de son boulot, elle assiste impuissante à la destruction du camp, comble de l'ironie, l'argent qu'elle a économisé est enterré sous les ruines de son ancienne demeure de fortune. Désemparée, Leila finira par s'enfoncer dans la déchéance et commet l'irréparable. Elle abandonne à la rue ses enfants qu'elle ne pourra désormais élever dans la dignité. Sur la route du paradis est un film fort qui montre une véritable descente aux enfers, devant laquelle personne ne peut rester indifférent.Autre découverte : Allez les filles de Amel Kateb qui a livré un mini documentaire de six minutes consacré aux manifestations qui ont eu lieu en Algérie en janvier 2011. A travers son film, la documentariste présente un groupe de filles vivant à Oran et qui sont montées au créneau en organisant un sit-in pour exprimer leurs revendications sociales. Dans ce groupe, on trouve la jeune artiste Rihab Alloula et ses copines qui bravent les interdits au nom de la liberté. Bien que chaque réalisateur ait sa propre manière pour traiter son sujet, les thèmes abordés par les films projetés au cours de cette deuxième soirée des Rencontres cinématographiques de Béjaïa, s'inscrivent tous dans la même veine et reflètent une véritable prise de conscience des sociétés arabes et occidentales quant aux crises sociales et identitaires qu'elles traversent. Mal-vivre, misère, injustice, exil sont tous des thèmes qui nous parlent et qui caractérisent ces dernières années.