Cinéma expérimental, tentative de substituer le réel — bien plus éloquent parfois — à la fiction, fragments de vie, chroniques de l'enferment… sont les premières idées qui effleurent l'esprit. Mais les réalisateurs nous emmènent plus loin, plaçant ainsi le spectateur dans une situation inconfortable, insoutenable, intenable.* Les dix premières minutes du documentaire de 55 minutes, Afric Hotel, de Nabil Djedouani et Hassen Ferhani (projeté au CCF d'Alger et dans le cadre du ciné-club de l'association Chrysalide), inspirent peu de chose sinon de l'inconfort, et puis une interrogation… obsédante : ces deux jeunes gens ont-ils pris des leçons de cinéma ? On serait tenté de répondre jamais, et de quitter la salle avec le sentiment d'avoir été dupé. Mais plus les minutes passent, plus on se familiarise avec les protagonistes, plus l'émotion s'installe, et plus on comprend la quête de sens à laquelle s'adonne les deux réalisateurs. Si les silences ennuient, ils sont rompus par le saxophoniste qui intervient au milieu du film, ainsi que par les propos et autres interventions des informateurs du documentaire peu conventionnel et qui se situe à l'avant-garde. Mais commençons par le commencement, par le pitch : Afric Hotel est un film sur les immigrés subsahariens installés en Algérie. “Derrière les statistiques se cachent des personnes”, et derrière ces personnes se cachent des tranches de vie, des rêves et des espoirs. Les premiers plans nous installent dans l'époque (été 2009) et le lieu (Alger), alors que l'Algérie célèbre son Africanité retrouvée, des immigrés subsahariens vivent dans l'indifférence. Ismael, Adam, Ibrahim et les autres évoluent dans la capitale. Ils survivent et surtout s'intéressent de très près à leur pays d'accueil, en apprenant l'arabe, en se familiarisant avec les coutumes et autres traditions et en dévorant la littérature algérienne. Par exemple, Ismael, le liftier, est un grand lecteur. On le voit dans le film lire deux romans algériens : Ce que le jour doit à la nuit, de Yasmina Khadra, et Je t'offrirai une gazelle, de Malek Haddad. De son côté, Adam, cordonnier, parle couramment l'arabe, mais au-delà de cela et à la faveur d'échanges avec Mohamed (un Algérien qui passe énormément de temps avec lui), on apprend qu'il connaît bien nos traditions que nous ne les connaissons. En outre, les réalisateurs ont donné la caméra aux protagonistes eux-mêmes pour qu'ils [se] filment ; ils les ont associés à la création, sans doute par souci d'objectivité. Devenue une réelle quête, le propos du film est quand même bien maîtrisé. Une totale immersion dans l'univers de ces immigrés subsahariens qui subissent racisme, remarques désobligeantes (“elle est où ton Afrique ?”, “un documentaire animalier”, lorsque Ismael annonce à une des personnes qui prend l'ascenseur qu'on réalise un documentaire pour expliquer la présence d'une caméra… ), et dans le meilleur des cas, l'indifférence. Une indifférence qui peut être expliquée de plusieurs manières, notamment le problème de l'identité qui implique rapport à soi et rapport à l'autre, ou encore la logique verticale qui veut qu'on regarde toujours vers le haut (jamais vers le bas, ça retarde le progrès !) Mais si la logique expliquait tout, il en serait fini pour l'espèce humaine. Plus le film avance, plus les aberrations se multiplient et plus le spectateur se retrouve enfermé dans une prison à ciel ouvert, où l'on ne regarde plus vers l'horizon parce qu'il est voilé par le béton, les containers et l'étroitesse des esprits. Par ailleurs, Nabil Djedouani et Hassen Ferhani nous propose un cinéma expérimental, dépouillé de tous les artifices, et qui cherche à représenter le réel dans sa plus simple représentation. Ce pourrait être un visage, un sourire ou une main qui façonne son objet. Les documentaristes proposent un cinéma d'interrogation où les réponses les plus évidentes sont souvent les bonnes, mais encore faut-il se poser la question. Ils cherchent l'Afrique en chacun d'entre nous. Mais où est notre Afrique ?