[Le Théâtre de Béjaïa]Le Théâtre de Béjaïa Un point commun reliait les films projetés dimanche dernier à la cinémathèque: le côté sombre de l'existence humaine qui prévaut dans notre siècle décidément bien gris. Raconter le monde, pas forcément gai, mais triste c'est détecter ses failles et asymétries, c'est dire ce qui ne va pas en nous et tenter de le comprendre, le soigner. Le cinéma permet parfois ce genre d'exercice périlleux, par différentes façons et styles narratifs. Dimanche dernier, la salle de la cinémathèque a abrité divers films entre courts, documentaires et longs de fiction. Un point commun reliait ces films: le dessin de la bêtise humaine qui prévaut dans notre siècle décidément bien gris. Dans Qu'ils reposent en révolte, Sylvain Georges a pris le pari de conjuguer l'espace temps en composant des fragments qui se renvoient et se télescopent les uns avec les autres, en filmant de 2007 à 2010 les conditions de vie des personnes migrantes à Calais (France). Du noir et blanc et des détails significatifs minimalistes pour dire la fragilité des personnages «politiques» et dénoncer le système répressif du gouvernement de Sarkozy et d'Eric Besson dans la planification de la question de l'immigration. Des tranches de vies humaines racontées aussi dans le documentaire Nada A ver (rien à voir) de F.Bresson et L. Goncalves, et qui raconte le quotidien d'une prison brésilienne et des hommes qui y cohabitent. Au travers de leurs récits intimes, faits d'évocation d'une humiliation subie sous une dictature sans merci, se dessine une histoire commune. A côté de ces récits viennent se greffer des séquences de théâtralité interprétées par ces comédiens prisonniers. De l'art pour transcender le réel amer et accéder à un espace de liberté. Brouiller les frontières aussi et créer le doute amenant ainsi à humaniser ces détenus criminels grâce à l'effet de distanciation que peut procurer cet acte artistique qui laisse comme un trouble dans le regard du spectateur. Un but du moins souhaité par les réalisatrices qui avoueront leur démarche par amour de l'art. Un contraste surtout qui est, du coup, mis en avant entre la réalité et le rêve, l'évasion. Un rêve qui s'évapore dans les deux films de six minutes de Amel Kateb baptisés Petites empreintes de lutte rassemblant Meeting autorisé et Eya echirettes! «Make art not war», serait assurément le lien qui réunirait ces films cités plus haut. Entre la prison et le sentiment d'emprisonnement à ciel ouvert dans une Algérie meurtrie, il n'y a qu'un pas. Soit on avance à coups de sacrifices et de persévérance, soit on recule. Mais le changement dérange souvent, alors on interdit les réunions et on assassine l'espoir. Le travail de Amel Kateb, pertinent à plus d'un titre, s'inscrit dans la continuité de son dernier court métrage On ne mourra pas. Ses films ont été impulsés suite aux moments de lutte démocratique en Algérie, et du Printemps arabe. Sa caméra a choisi de rendre hommage à Ahmed Karoumi, retrouvé mort dans son local du Cncd d' Oran tout en évoquant le courage des femmes à aller de l'avant pour tracer leur chemin vers la liberté. Si l'image de Amel Kateb reste sobre et discrète, sa force réside dans l'ellipse sans tomber dans le didactisme. Une chanson écrite par ses deux amies interprétée dans une voiture, finit à elle seule par imprimer ce désir de rébellion et de soif de vivre. «Gravité, drame mais légèreté aussi», trois maîtres mots qui caractérisent le travail de Amel Kateb qui, par pudeur, préfère raconter la violence du quotidien avec humour plutôt que de tomber dans le misérabilisme, mais toujours avec un fond politique prégnant, sous-jacent. «On tue les résistants mais il y en aura toujours d'autres...» J'ai habité l'absence deux fois de Drifa Mezeenner, film court réalisé dans le cadre des ateliers documentaires, Béjaïa Doc, raconte l'histoire de son frère Sofiane qui a quitté l'Algérie en 1992 et vit en Angleterre. Ce film, qui combat l'amnésie est un travail de mémoire intime partant du personnel pour dire le collectif, l'universel et relater le sentiment de l'attente, du manque et de l'absence avec une grande émotion doublée d'un esthétisme certain. «Le film raconte l'absence du frère et les séquelles de ceux qui sont restés», soulignera la jeune réalisatrice. Et de rajouter: «J'ai fait ce film avec le désir d'être la plus sincère possible pour raconter par des images notre époque, notre vécu et ce sentiment d'attendre depuis 20 ans...» En somme, ce n'est pas seulement de Kouba dont il s'agit dans ce film mais de toute l'Algérie qui attend son jour de totale guérison et sortir enfin sa tête du gouffre, du coma, pour réapprendre à respirer de nouveau. Un processus long qui nécessite aussi de se souvenir fera remarquer Drifa. Une thérapie de groupe en somme que devront faire tout les Algériens pour surpasser leur douleur et continuer à vivre malgré tout. Après l'enfermement, la renaissance? De la douleur, salvatrice mais de la douleur quand même dans une Algérie en désillusion.