Photo : M. Hacène Par Rachida Merkouche Le droit à l'accès aux soins, une chimère qui ne trompe plus personne et une mystification qui ne peut duper que ceux qui veulent bien l'être. C'est, en tout cas, une réalité, vécue chaque jour par les malades et par leurs proches, confrontés à toutes les vicissitudes provoquées par la négligence et l'incompétence, et c'est ce qui est démontré quotidiennement, au niveau des hôpitaux. Il est incorrect de parler de prise en charge, tant le séjour des patients ressemble à un parcours kafkaïen. C'est le cas dans la majorité des infrastructures du pays, et nous ne citerons que l'une d'entre elles, située dans un quartier populaire de la capitale et, par honnêteté professionnelle, le service orthopédique, pour avoir été confronté à une situation intenable. L'admission n'est que le début de ce parcours, dont on ne sort indemne ni physiquement, ni moralement. Le cas de MB, un octogénaire, hospitalisé pour une intervention chirurgicale, après une fracture du col du fémur. Il n'est pas unique. Mais il reflète le drame vécu par les malades et leurs familles, au sein d'une infrastructure où ils se retrouvent seuls. Il est difficile de qualifier d'hôpital un lieu où les proches sont tenus de séjourner eux-aussi -nuit et jour-, pour tenir le rôle de gardes-malades et d'infirmiers. Ils sont mis devant l'obligation de pallier aux défaillances constatées dans ce domaine. Les infirmiers doivent officier chacun dans deux services (hommes et femmes), blasés, en plus, à cause de telles conditions de travail, jusqu'à devenir inhumains, répondant rarement aux supplications des proches, quand le malade crie de douleur. «Patientez, je suis seul et j'ai deux services à ma charge», répondent-ils invariablement. Quant à délivrer le malade de sa couche souillée et trempée, la tâche incombe aux membres de la famille. «Ce n'est pas mon travail», un leitmotiv entendu tant de fois de la bouche des infirmiers, quand il s'agissait de soulager un vieillard de la gêne occasionnée par sa lange. C'est donc le travail des proches des malades, qui ne le quittent jamais. C'est aussi le cas pour d'autres patients, pour la plupart immobilisés après une intervention chirurgicale, et dont les besoins sont pris en charge par leur famille. Changer le malade quand il est trempé et sali jusqu'au dos, changer sa couche en s'y prenant à plusieurs, vérifier sa perfusion et faire en sorte qu'il ne se blesse pas avec l'aiguille arrachée et souvent retrouvée dans son lit ou dans ses vêtements, supplier un infirmier de le soulager de la douleur, c'est le rôle des proches. Autant dire que ces derniers sont, eux aussi, hospitalisés, avec tous les risques d'infections et de contamination, les différents services étant, de l'aveu même du personnel, de véritables nids d'incubation de germes microbiens. Il n'existe pas d'horaire pour les visites, les familles sont présentes du matin au soir, et même la nuit. Dans le service orthopédique pour hommes, où certains proches vaquent à toutes les occupations susmentionnées, servent de relais entre le service et un laboratoire d'analyses et sont même chargés du transfert de leur patient pour une radiologie, on peut croiser tout le monde, sauf les médecins. Un kinésithérapeute plein de bonne volonté et un infirmier dépassé ne peuvent, à eux seuls, œuvrer pour le bien-être des malades hospitalisés. Dans les salles à deux lits, un proche y trouve toujours sa place, et des femmes font office de garde-malades, au milieu des hommes. Nous avons été surpris de voir, à 22 heures, une femme allongée sur un lit de camp, en face d'un écran de télévision, au pied des deux lits. Une autre, se trouvant au chevet de son oncle 24h/24, y prépare ses repas sur un feu électrique (appelé communément résistance). Ce sont aussi toutes ces personnes qui assurent l'hygiène des lieux, insatisfaites de ces coups de chiffon passés à la hâte et de manière aléatoire. La détresse des familles est immense On peut le constater aisément. Mais le comble, c'est lorsque, sans prendre la peine de transférer un malade vers un autre service (de médecine interne où l'écho doppler est disponible, le CHU en question étant dépourvu d'un service de cardiologie), ou vers un autre hôpital, un réanimateur, suspectant un infarctus, décide qu'un malade est inopérable. Une attèle devant immobiliser la jambe pendant 21 jours est posée et le patient est renvoyé chez lui, avec la recommandation de le présenter à un cardiologue. Un tel acte a conduit à l'amputation de 2 orteils. De l'avis des médecins de l'EHS de Ben-Aknoun, où le même malade a été opéré sans problème (il a été transféré par cet EHS vers une clinique de cardiologie, où on n'a décelé aucun infarctus), l'attèle n'avait pas lieu d'être posée, elle ne pouvait servir à rien. Bien au contraire, ses conséquences ont été désastreuses. Aussi bien pour le malade que pour sa famille.