Photo : S. Zoheir Par Abdelkrim Ghezali L'œuvre de libération nationale ayant été accomplie grâce au sacrifice suprême de ceux qui ont donné leur vie pour que vive la patrie, grâce aux femmes et hommes morts après l'indépendance ou toujours en vie qui ont subi et supporté toutes les tortures physiques et morales et toutes les humiliations pour que leur peuple vive dans la dignité, il est temps pour l'Algérie de faire le bilan de ses réalisations, de ses ratages pour mieux gérer le présent et pour mieux préparer l'avenir. Il est temps pour l'Algérie de se regarder dans une glace sans complaisance car la flamme de la gloire du passé ne peut être entretenue si le présent n'est pas conforme aux rêves des générations actuelles et si l'idéal de demain n'est pas garanti pour les générations montantes. La génération de Novembre n'est pas éternelle. Si elle ne prépare pas la relève dès aujourd'hui, elle aura été égoïste et aura hypothéqué l'avenir pour satisfaire son égo. Cette génération est appelée à être à la hauteur des promesses de Novembre 1954, à la hauteur du rêve qui s'est exprimé un 5 juillet 1962. Une République sociale et démocratique, où la citoyenneté prend tout son sens, où la liberté de pensée, d'opinion, de confession et d'expression est sacralisée plus que tout autre aspect, car, c'est cette liberté qui doit être le fondement de la nation, sa dynamique et son stimulant pour affronter les aléas de la vie et les difficultés conjoncturelles. La décennie rouge, ces années de braises qui ont vu les Algériens s'entretuer pour le pouvoir, doivent servir de leçon d'une part pour comprendre que c'est l'idéal de liberté qui a stimulé la majorité des Algériens pour refuser le diktat islamiste et la violence fratricide et d'autre part pour comprendre pourquoi on en est arrivé là pour que ce cauchemar ne se reproduise plus. La politique d'exclusion, de marginalisation, de clan, de lobbies qui s'est faite pendant de longues années au détriment de la majorité des citoyens, d'autres courants de pensée, courants politiques ayant pris part à l'œuvre nationale de libération, a provoqué une fracture sociale qui s'est vite transformée en fracture politique mettant en péril une cohésion fragile hérité des erreurs de la guerre de libération et des erreurs des premières années de l'indépendance lorsque les luttes intestines au sein du FLN ont empêché l'émergence d'un Etat national consensuel. Si la période allant de 1965 à 1978 a permis la mise en place des institutions et d'une économie nationale qui a permis aux enfants de paysans et d'ouvriers d'accéder à l'école, aux soins et de commencer à se familiariser avec les commodités de la vie moderne, il n'en demeure pas moins que cette période a été marquée par l'embrigadement des masses et un pouvoir autocratique abortif du potentiel politique et intellectuel dont disposait le pays. La jeunesse algérienne a commencé alors sa rupture avec les schémas classiques du pouvoir du FLN et a commencé à remettre en cause les monopoles, les exclusions et les choix verticaux pour exprimer dès les années quatre-vingt des revendications politiques, sociales, identitaires et linguistiques. Le slogan de «l'Algérie algérienne» est revenu alors au goût du jour et a rappelé à qui veut l'entendre que le positionnement régional de l'Algérie ne peut se faire au détriment de son identité et de sa langue millénaires. La manipulation de la foi des Algériens à des fins politiciennes a coûté cher au pays. L'endoctrinement religieux wahabite et salafiste a complètement travesti la foi séculaire des Algériens produisant des phénomènes de pensée obscurantiste et de comportements vestimentaires et sociaux attentatoires, non seulement à l'identité nationale, mais aussi à la sécurité et à la stabilité. Parce que la crise économique des années quatre-vingt a déclassé des millions d'Algériens et a anéanti la classe moyenne, élite de la nation qui produisait ses repères et alimentait ses symboles, la société s'est fragilisée et est devenue vulnérable face à la lame de fond islamiste. Le printemps algérien d'Octobre 1988, prolongement logique des hirondelles de 1980, de 1984, de 1986 et de 1987, s'est vite transformé en un long hiver glacial de mort, de désolation et de dislocation. Mais les Algériens ont résisté grâce à la mémoire vivace du combat des ancêtres et des pères et mères libérateurs de la patrie. Politisés ou non, les Algériens ont compris instinctivement que le terrorisme constituait une menace aussi grave que l'occupation coloniale et qu'il fallait le combattre quel qu'en soit le prix. Aujourd'hui, l'Algérie est face aux défis présents d'une démocratisation urgente de la vie politique, sociale et culturelle, aux défis de la prise en charge des besoins vitaux des citoyens en matière d'emploi, de logement et de sécurité, aux défis d'une école performante qui produit l'intelligence et le génie et non le mimétisme, aux défis d'une jeunesse qui a la rage de vivre mais délaissée et marginalisée, aux défis d'un contexte mondial qui menace de disparition toute gestion médiocre dominée par la médiocrité, le clientélisme, la corruption et le népotisme.