Lorsque des jeunes ont tranché le nœud gordien pour rompre avec les tergiversations de leurs aînés et leurs querelles de chapelle, ils voulaient en finir avec un ordre colonial des plus inhumains et avec une génération de militants qui reporte les échéances révolutionnaires dont les conditions objectives étaient mûres depuis que l'occupant a foulé le sol de l'Algérie - les conditions subjectives étaient réunies depuis les massacres de Mai 1945. Les objectifs de Novembre étaient définis apriori dans la plate-forme de l'Etoile nord- africaine depuis 1926. Avec l'avènement de l'ENA, le mouvement indépendantiste s'est cristallisé autour du fait national porté par la conscience de jeunes militants engagés à mourir pour la patrie, pour sa libération et pour que le peuple recouvre son identité, sa liberté et sa dignité. La question qui se pose, 57 ans après le déclenchement d'une dynamique nationale salutaire : les objectifs de Novembre ont-ils été atteints ?L'Algérie est indépendante, souveraine et occupe une place importante dans le concert des nations et joue un rôle d'Etat pivot au plan continental et régional. L'Algérie a récupéré ses richesses, les exploite et en injecte les recettes dans des projets structurants. L'Algérie s'est engagée dans une politique éducative qui a permis à des millions d'Algériens d'aller à l'école et une bonne partie de la population d'accéder à des niveaux d'études supérieures. L'Algérie avait fait des choix politiques et économiques dans un contexte mondial favorable aux pays du Sud. Entre 1970 et 1980, le volontarisme politique et économique assurait le plein-emploi grâce à la rente du pétrole, mais aussi à une austérité qui, d'une part, a préservé globalement les deniers publics orientés vers des projets d'utilité publique et, d'autre part, a favorisé une situation de pénurie chronique de beaucoup de produits alimentaires, électroménagers, etc. Durant les années 80, l'Etat a changé de cap et l'infitah économique a mis un terme à la consolation du peuple qui supportait et acceptait l'austérité, tant qu'elle était partagée par tous et à tous les niveaux. Les nouveaux riches, encouragés par une prédation sans précédent, exhibaient leurs richesses, toute honte bue, face à une jeunesse laissée-pour-compte, oubliée, marginalisée, exclue. C'est dans cette période que le lit de la violence a été creusé, que les ingrédients de la dislocation sociale ont été mis en place, que cette jeunesse a commencé à douter de la volonté du pouvoir à défendre les valeurs de Novembre et d'en parachever les tâches démocratiques, afin que la dignité de l'Algérien soit préservée et que la dignité de l'Algérie soit le prolongement de celle du citoyen. Octobre 1988 est l'expression de cette déception généralisée, qui a nourri la révolte d'une jeunesse trahie, d'un idéal commun abandonné, d'un projet de société oublié. C'était autour de l'idéal de Novembre que la nation s'est agrégée et cristallisée. L'idéal de Novembre se résumait à la dignité du citoyen et de la nation. Les Algériens, du moins la majorité, se sentaient fiers, car ils se reconnaissaient, à tort ou à raison, dans le projet national de Boumediène, et admiraient, à juste titre, son dévouement pour l'Algérie, sa probité et sa droiture. Le rêve commun s'est estompé lorsque le pouvoir a cessé de nourrir ce rêve avec l'intarissable sève de Novembre, irriguée par le sang de tous les sacrifiés pour que vive l'Algérie. Le projet de Novembre n'est donc pas réalisé dans sa totalité. Il s'agit de ressusciter le projet de société qui aspirait à rétablir l'Algérien dans tous ses droits spoliés par le colonialisme, puis par la nomenklatura qui a privatisé l'Etat et qui s'est imposée en tutelle inamovible d'un peuple qui n'est pas mineur, qui a une conscience et qui a des ambitions. A. G.