De notre correspondant à Constantine Nasser Hannachi Victime de sa notoriété, et c'est l'avis de professeurs en médecine émérites, le service d'hématologie du CHU Ben Badis de Constantine, se trouve au bord de l'asphyxie. En effet, avec seulement 24 lits destinés à l'hospitalisation et un taux d'occupation n'excédant pas dix jours, il est difficile de contenir le rush des malades, pour la plupart sujets critiques, originaires des quatre coins de l'est du pays, particulièrement de Batna, Sétif, El Oued, Jijel, Biskra, Oum El Bouaghi… Toutes ces wilayas transfèrent leurs patients à Constantine sans aucun rendez-vous préalable. Pourtant, la directive ministérielle sur une telle expédition est claire. «Le ministre de la Santé avait mis le holà sur ces évacuations hasardeuses», explique le professeur Sidi Mansour, chef de service à l'hôpital, indiquant qu'il «est évident que l'hôpital dispose d'un bureau d'admission. C'est pourquoi je réclame, voire j'exige des renseignements cliniques sur le malade afin de prévoir son éventuelle hospitalisation. Je suppose que les structures extra-muros commencent à adhérer à cette méthode. Mon service n'est plus extensible. On ne peut résorber une population de plus de 10 millions». Afin de prendre en charge les cas de leucémies aiguës et chroniques, l'hôpital de jour demeure le moyen palliatif adéquat pour préserver des vies. «Au moins 80 patients sont auscultés quotidiennement. Je fonctionne seulement avec trois salles de consultation, dans lesquelles chaque médecin assure sa journée, et auxquelles s'ajoutent deux autres consultations au tout-venant», explique notre interlocuteur, qui tire la sonnette d'alarme sur le nombre de séances de chimiothérapie réalisé par jour, à savoir 32. «Il faut le faire !» s'exclame-t-il. En cœur charitable, l'hématologue du CHU apporte assistance quant aux examens biologiques des enfants malades dépendant de la pédiatrie. Toutefois, si le service est autant sollicité, ce n'est assurément pas pour contempler les ponts suspendus de la ville, loin s'en faut. Sidi Mansour, actif depuis 1978, en sa qualité d'hématobiologiste et non moins clinicien, veille au bon fonctionnement des «globules», en dépit des moyens, somme toute basiques, mis à sa disposition. De plus, son équipe, formée d'assistants, participe périodiquement à des congrès et autres séminaires à l'étranger, notamment à Strasbourg, pour se mettre au diapason des dernières découvertes dans le domaine du cancer du sang. «La leucémie est une pathologie difficile qu'il faut prendre en charge dès les premières… minutes», atteste Sidi Mansour. Des malades qui se présentent au service d'hématologie pour le diagnostic des causes d'une éventuelle anémie ou d'une fièvre… seront immédiatement admis : la leucémie frappe d'emblée. Toutefois, on estime une augmentation de 20% par rapport aux années précédentes. La mortalité est signalée dans les formes aiguës notamment. Afin de cerner les causes de cette aggravation, une étude sur les leucémies chroniques prend naissance avec des questionnaires requis et demandés par M. Mansour aux médecins des CHU de Batna, de Sétif, d'Annaba et de Constantine. Tandis que le processus analytique suit son cours, le chef de service insiste sur «un bon diagnostic qui assure un taux de guérison à 70%». A cet effet, l'obligation de passer par des analyses «contemporaines» s'impose à plus d'un titre pour sauver des vies. «Si la maladie est prise dans un temps initial égal à 0, on obtiendra des résultats fort prometteurs». Le caryotype, l'immuno-marquage et la biologie moléculaire sont les trois analyses indispensables aux leucémiques. Malheureusement, certains patients se rendent en Tunisie pour les accomplir. «Les patients effectuent ces tests à raison de 35 000 DA. Les spécialistes qui les font en Tunisie ont suivi leur cursus dans notre CHU… Ce n'est pas pour les diminuer, mais juste pour dire que l'on peut faire beaucoup de choses dans les hôpitaux algériens pour peu que les moyens suivent», déplore le praticien, avant de poursuivre : «Il faut que la sphère des décideurs trouve un moyen pour envoyer des malades démunis en terre tunisienne. Dans le cadre de l'UMA, par exemple. L'Algérie qui consent beaucoup d'efforts dans les factures médicamenteuses devrait se pencher sur ce type de laboratoires pour lequel on doit former une équipe de médecins spécialisés.» A quand un centre de greffe de la moelle osseuse à Constantine ? C'est prouvé, le traitement idéal de la leucémie est la greffe de la moelle osseuse. Qu'en est-il avec un seul centre à Alger devant accueillir toute la population, alors qu'en Tunisie, dont la démographie est moins significative, il en existe deux ? Il y a presque plus d'une décennie, le professeur Yahia Guidoum, qui occupait alors la fonction de ministre de la Santé, avait implanté cette unité dans la capitale, et il était question d'en réaliser deux autres, à Constantine et Oran. «Il n'en fut rien», témoigne le professeur Sidi Mansour, qui était membre du comité. Ce différé de la construction d'une telle structure sanitaire contraint le CHU à prier pour ses malades… pour décrocher un rendez-vous inespéré à Alger, aussi débordé. En moyenne, deux patients par mois se font greffer. «En attendant des lendemains meilleurs, il faudrait sous-traiter avec les Tunisiens. La prise en charge en France reviendrait à des milliards…» suggère encore le médecin, et de se lancer dans un défi : «Mon cheval de bataille, voire mon rêve, réside dans la construction de deux centres pour les hémophiles et de greffe de moelle osseuse. Par conséquent, l'Algérie prendra en charge les malades dignes d'une prise en charge dans des hôpitaux européens. On est capables… croyez -moi !» Sur un autre plan, notre interlocuteur insiste sur les recommandations émises lors des rencontres nationales ou internationales. «Il faut que les officiels prennent note de ce que l'on émet à travers les communications des journées scientifiques.» Pour finir, M. Mansour évoque le volet thérapeutique, lequel a connu une envolée du fait de «médicaments oraux capables de se substituer à la chimiothérapie». Ces pilules magiques et onéreuses n'ont pas encore vu le jour en Algérie. «On se débrouille, à travers notre expérience, pour tomber sur le bon diagnostic… étant donné l'absence de laboratoires typiques à la leucémie», conclut le médecin chef. Un nouveau CHU à Constantine : il était grand temps… ! L'annonce faite par le wali, il y a quelques jours, au sujet de la réalisation d'un second CHU à la nouvelle ville et dont l'assiette a été déterminée, a été accueillie favorablement par les médecins locaux. «A ce sujet, dira Sidi Mansour, il faut avoir cette nouvelle structure dans les délais. Aussi, elle doit répondre à des normes modernes. Un programme ficelé, avec, à la clé, une fiche technique, devrait en outre délimiter les fonctions de ce nouvel hôpital.» Selon lui, si l'on devait se contenter de bâtir un centre hospitalier universitaire qui servirait d'«extension» à l'actuel CHU Ben Badis, on ne serait pas sorti de l'auberge... La future structure sanitaire devrait disposer d'un plus dans le domaine médical. Par ailleurs, le professeur en hématologie déplore quelque peu «la fragmentation des spécialités» causée par les EHS. «A mon avis, la centralisation médicale reste le meilleur moyen pour prendre en charge efficacement tous les types de maladies», estime-t-il.