Azzeffoun, c'est d'abord un nom. Toponyme d'une définition de ce que la ville et la région éponyme sont la géographie, l'histoire et l'ADN. Terroir fertile, dont le nom berbère ancien dériverait de uzaff, la colline de forme conique, qui descend en perpendiculaire du mont Tamgout, vers la mer d'opale et de turquoise. Port Gueydon la française, bien avant, Ruzasus la phénicienne et Rusasu la romaine, est une belle Kabyle sur un cap surélevé. Un comptoir, une escale, un relais. Point convergent des quatre vents. Des plages de poudre d'or, des montagnes giboyeuses et, tels des écrins, 52 villages - sentinelles encerclés par les forêts de Yakouren et de Mizrana. C'est, après tout, plus de 5 000 ans d'Histoire, comme en témoignent, dans le dur, les monuments mégalithiques d'Aït Rehouna. Dans cette ville bénie par Sidi Ahmed Ouyoussef, son saint tutélaire, entre ciel, terre, mer et montagne, s'entrechoquent les influences humaines, aux accents amazighs, phéniciens, romains, andalous et français. Azzeffoun n'est pas aujourd'hui, singulier paradoxe, une ville de culture. Mais la cité et ses villages-satellites ont tant donné à la culture algérienne, singulièrement à la musique, particulièrement au châabi et, notamment, au théâtre et au cinéma. Azzeffoun, c'est surtout un mariage d'amour avec la Casbah d'Alger. Epousailles en justes noces artistiques qui enfanteront le châabi, qui est à l'âme d'Alger ce que sont le fado à Lisbonne et le flamenco à l'Andalousie. C'est comme si l'ancienne Ruzasus en était le père géniteur et la Casbah la mère porteuse. Azzeffoun, mer méditerranéenne du châabi ! La Casbah, mère affectueuse des montagnards d'Azzeffoun, premiers Kabyles à y faire souche. La suite de l'histoire est une fabuleuse lignée d'astres scintillants dans la constellation du châabi. Avec, comme étoile polaire, Hadj Mhamed El Anka, né Halo à Tagarcift, du côté des Aghribs. Et, derrière le Cardinal, le phénix du châabi, il y a encore d'autres noms que le halo de lumières de l'astre des astres n'a pas éclipsés. Entre autres, Hadj Mrizek, la voix de miel et d'huile d'olive qui a chanté «El Qahwa walla tay». Thé ou café, comme il en a agrée, plus tard, à Catherine Ceylac de France 2. Mrizek, Ah, Hadj Mrizek, l'Arezki Chaïb de Kanis, qui a, dans un autre temps, prêté ses cordes vocales au hawzi ! Comme El Anka, il est inimitable, incomparable. D'un mot, d'un seul, immortel. Il y a aussi le petit El Anka, de son nom propre Boudjemâa El Ankis, d'Aït Arehouna, né au châabi sous les fez accueillants des deux grands maîtres. Dans le châabi, le nom de Hadj n'est pas seulement une référence religieuse. C'est aussi un titre de noblesse artistique porté comme une clé de sol par Omar Mekraza, longtemps chef d'orchestre de Hadj El Anka. Le fils d'Oumadhen se fera un nom, plus modeste, certes, mais synonyme de voix grave et suave de bluesman et de rigueur métrique d'un maestro. Si le châabi est à Azzeffoun ce que le blues ou le jazz sont aux Noirs d'Amérique, la région est aussi une fascinante terre d'inspiration et de création culturelle. Cette mère nourricière a donné au pays quelque chose comme dix fois les doigts d'un Mrizek, dans la musique, la chanson, la littérature, le théâtre, le cinéma et la comédie. Et c'est tout un roman épique dans une localité où il suffit de bécher pour déterrer quelque antiquité inestimable ! Dans le catalogue des lumières, la diva de la chanson kabyle, Hnifa d'Ighil Mahni et la divine Fadila Dziriya, fille de la Casbah d'Alger, mais dont les racines berbères plongent dans l'humus de Ruzasus. Et, dans un autre registre, notamment, Mohamed Issiakhem d'Ath Djennad, le génie des peintres algériens. Créateur volcanique, venu de Taboudoucht, cet artiste polymorphe et polychrome, élève d'Omar Racim, tissa avec Kateb Yacine une amitié qu'il aurait lui-même vécue comme une peinture de la folie des génies. Et, avant même que Fellag ne promène brillamment le nom d'Azzeffoun de planches en planches, d'écrans en écrans et de pages en pages, Mohamed Iguerbouchène, son fils d'Aït Ouchène, lui permit déjà d'atteindre l'universalité, en éparpillant, entre Paris, Londres et Hollywood, ses do ré mi fa sol la si. Celui qui deviendra Igor Bouchène, aura, entre 590 œuvres, composé la musique de Pépé Le Moko où Jean Gabin creva l'écran pour l'éternité. Dans le panthéon de la création artistique et littéraire, brillent également de mille feux les noms de Rouiched de Kanis, du poète et homme politique Bachir Hadj Ali et de l'écrivain et journaliste Tahar Djaout. Rouiched, le Charlot algérien, c'est lui, avant tout, qui donna à Fellag, le goût salé de la comédie, la saveur sucrée des monologues et la sapidité des mots polis comme les galets des plages azzeffouniennes du Caroubier et du Petit Paradis. Ajoutez les cinéastes Mustapha Badie et Mohamed Ifticène, le chanteur Abderrahmène Aziz et le réanimateur culturel, l'éclateur des mots, le roi du racontArt, Abderrahmène Lounes, et vous comprendrez pourquoi Azzeffoun est, en Méditerranée, la mer et la mère du châabi. N. K.