L'Humanité censuré, un ouvrage collectif témoignant de l'engagement du journal français pour la guerre de libération de l'Algérie et reconnaissant par la même les "failles" du Parti communiste dont il est le porte-voix, vient de paraître à Paris, aux éditions le Cherche Midi. Coordonné par l'historien journaliste Alain Ruscio et sa collègue à l'Humanité Rosa Moussaoui, le livre relate le déferlement de procès, de censures, de saisies de la part des gouvernements successifs pendant huit ans, pour avoir dénoncé, notamment, la pratique de la torture tant en Algérie qu'en Métropole. Les auteurs citent, entre autres exemples, la saisie en mars 1961 du journal suite à un article sur les tortures pratiquées à Paris même, dans les locaux du commissariat de la Goutte d'Or, dans le 18ème arrondissement, et la traduction devant la justice d'un journaliste qui a écrit un article protestant contre la condamnation d'Alban Liechti, militant communiste et insoumis. Défendant le Parti communiste, dont il est le porte-voix, ils affirment que, jadis accuser d'avoir "tourné le dos" à la patrie, le PCF se voit parfois aujourd'hui taxé de mollesse et de timidité face à la guerre d'Algérie, mais regrettent que "plus souvent, ceux qui parlent de cette époque passent purement et simplement le comportement qui fut le sien sous silence". Tout en rejetant un quelconque "parti pris", les coordinateurs de l'ouvrage affirment s'être contentés de publier tous les articles censurés de l'époque, sans "ajouter, ni retranché une virgule". "Nos commentaires n'ont fait qu'accompagner, que conceptualiser. Nous jugeons les lecteurs de 2012 suffisamment mûrs pour se faire des opinions plus globales. Mais, évidemment, nous avons le courage des nôtres et nous les présentons", a indiqué Alain Ruscio dans un entretien à l'APS. Pour lui, le propos est de porter des regards sur deux phénomènes : d'abord "un journal dans la guerre d'Algérie", ensuite le phénomène de "la censure en France". "Il faut souligner que notre livre est d'abord un recueil de documents bruts", a signalé l'historien. Interrogé sur le besoin d'écrire aujourd'hui sur l'attitude du PCF vis-à-vis de la guerre d'indépendance nationale, il a indiqué que l'objectif d'un ouvrage d'histoire "n'est pas de porter un jugement". Evoquant l'attitude controversée et parfois critiquée du PCF lors de cette guerre, notamment le vote par son groupe parlementaire en 1956 des pouvoirs spéciaux en Algérie, l'historien a rétorqué que les communistes "ont fait beaucoup" pour la guerre de libération. "Ils ont eu leurs mérites, ils ont eu leurs martyrs et le procès qui leur est fait par l'historiographie dominante me paraît souvent injuste", a-t-il dit. M. Ruscio reconnait que ce parti n'a cependant pas été un "clairvoyant absolu, du début à la fin". "Par exemple, n'est-ce pas son attachement au concept obsolète de + la nation en formation+, qui datait tout de même de 1939, qui explique qu'il n'a pas compris la portée du 1er novembre 1954", s'est-il interrogé. Quant au vote des pouvoirs spéciaux, il a estimé que "c'est la grande tache de l'histoire du PCF de cette période, qui a creusé un fossé devenu infranchissable entre lui et le mouvement patriotique algérien". "Non par basse complicité avec les colonialistes, mais par choix stratégique terriblement faux : l'union des travailleurs û et donc, alors, l'alliance avec les socialistes û en France, devait apporter la réponse à la guerre d'Algérie", a-t-il expliqué, regrettant "qu'aujourd'hui û et la direction communiste avait les moyens de le savoir en 1956 û que jamais le Parti socialiste n'a sérieusement envisagé une solution à la guerre qui aurait ouvert, même de loin, la voie à l'indépendance".