La Tribune : Quelle est l'importance de votre présence ici en Algérie, dans le cadre du 17e Sila ? Lassana Igo Diarra : Il est important que nous soyons ici en Algérie, car c'est un pays frère et frontalier du Mali. Il est aussi important d'être ici, dans le cadre de l'espace Esprit Panaf, parce que, malheureusement, l'image de l'Algérie n'est pas très visible pour le peuple malien, d'autant plus que certains leaders d'Aqmi sont d'origine algérienne.Notre présence ici permet notamment de montrer à notre peuple une image vraie de nos frères algériens, celle de l'Algérie intelligente, cultivée, l'Algérie de la guerre de Libération nationale, qui a combattu le colonialisme. Ceci justifie amplement notre présence ici, afin de rapprocher nos deux peuples. Sur un plan purement littéraire, cela nous a permis de découvrir de beaux ouvrages des maisons d'édition algériennes et d'autres maisons d'édition africaines, de rencontrer les différents médias, et d'avoir des échanges fructueux lors des conférences et des animations culturelles. Je dis souvent que, pour nous qui avons la chance de voyager, il est important d'avoir des projets concrets.
Justement est ce qu'il y a des projets concrets à l'occasion de votre participation à l'Esprit Panaf ? Ce qui est formidable, c'est qu'à travers ma participation au 17e Sila, il y a un projet avec Abdoulaye Ndoye, une rencontre entre la calligraphie des manuscrits traditionnels, technique qu'il ne faut pas perdre, et son expertise contemporaine des manuscrits. Etant donné leurs situations tragiques, Il faut savoir que les faiseurs de manuscrits traditionnels maliens de Tombouctou se sont déplacés à Bamako. Suite à notre rencontre à l'espace Esprit Panaf, où il avait organisé une exposition de manuscrits, nous allons créer un pont entre le manuscrit traditionnel et contemporain, un mariage intelligent entre ces deux techniques, en partenariat aussi avec les calligraphes algériens. J'ai appris qu'il y avait un festival dédié à la calligraphie en Algérie. C'est quelque chose d'extraordinaire. J'espère créer le même genre de festival consacré au manuscrit au Mali. Les manuscrits sont un trésor. Il faut non seulement les transcrire, les traduire, mais il faut les vulgariser aussi. Dans le cadre de la coédition il y a eu plusieurs contacts avec des maisons d'édition algériennes pour que cela devienne concret. Il y a également une revue scientifique, sous forme de magazine culturel, initiée par l'espace Esprit Panaf, cela contribuera certainement à la circulation d'idées et des productions intellectuelles africaines. C'est tout à l'honneur de cet espace et à l'honneur de l'Algérie. En faisant ce genre de rencontres des peuples qui ont beaucoup à partager, on ne peut qu'aller de l'avant. Mais il est important de transformer nos rencontres en projets concrets, c'est ce message qu'il faut envoyer. Face à la destruction, on propose la construction.
Quel est, selon vous le rôle que pourraient jouer les littéraires, les artistes et d'autres représentants du monde de la culture au moment où le Mali traverse des moments difficiles ? Le rôle des intellectuels et des hommes et femmes de culture est très important. Justement, avec ce conflit, on a été touchés au cœur de notre patrimoine. En s'attaquant aux manuscrits, c'est la culture et le savoir qui sont touchés au plus profond de leurs cœurs. Il y a des manuscrits qui datent du XIIe siècle, qui ont traversé les siècles et nous sont parvenus, aujourd'hui. Ainsi nos aïeux, avec les moyens de bord ont su développer des moyens de conservation extraordinaires. Cela illustre l'intelligence et la mémoire de tout un peuple. Nous sommes, aujourd'hui, face à une intervention barbare qui menace ce précieux savoir-faire et ce patrimoine, et tente de détruire notre mémoire. En réaction, il y a énormément de textes qui sont produits pour défendre cette mémoire et ce patrimoine. Nous n'avons pas d'armes, les seules que nous possédons sont la plume et le verbe. On est attaqués dans notre âme et dans notre chair et c'est normal pour nous de riposter. Il y a le mouvement artistique qui répond à cette destruction là. Nous prônons la construction. A la place de l'obscurantisme nous proposons la lumière. Les intellectuels devront assumer, ce n'est pas seulement le patrimoine du Mali qui a été attaqué, c'est le patrimoine de l'humanité et ce problème concerne le monde entier.
Justement que pensez-vous de l'intervention armée ? J'ai beaucoup de mal de parler de mon pays, mais la question est de quelle interventions armée s'agit-il ? C'est vrai que l'on doit libérer notre pays, mais on ne veut pas que des Maliens tuent des Maliens. Malheureusement, je dis à ceux qui n'ont pas compris que quand dans notre pays on n'est plus souverains sur deux tiers du territoire, il faut agir. C'est là où je dis à mes chers compatriotes maliens, que nous sommes tous patriotes, nous sommes tous nationalistes, malheureusement les forces qui occupent le Mali aujourd'hui c'est un conglomérat de différentes nationalités. C'est comme si c'était une force venue de n'importe quel pays pour nous envahir et nous coloniser. On ne devrait pas avoir de complexes. La Cédéao et l'Union africaine sont des entités qui existent. Certes, l'Algérie a une position diplomatique respectable. Mais je pense sérieusement que c'est un problème complexe qui dépasse le Mali seul et on a peur que cela ait des répercussions.
Est-ce pour défendre cette mémoire et pour la reconstruire que vous avez lancé plusieurs initiatives, à l'instar du Manifeste pour la paix au mali ainsi que différentes expositions ? Depuis le début de cette situation tragique nous avons lancé plusieurs initiatives, dont celle intitulée «Le Mali et la paix», qui circule beaucoup et doit bientôt venir en Algérie.Mais, au-delà, de ces actions de sensibilisation auprès de nos compatriotes et au niveau international, aujourd'hui, le fait est que la guerre est une étape pour la paix, au cas où les négociations n'aboutissent pas. Je pense que l'on ne pourra plus avoir le choix et on devra passer par l'étape de la guerre. Il faut être conscient que chaque jour qui passe est un jour de trop, un jour où on coupe des mains, où on immole les gens, où on fait des lapidations. Ce sont des actes barbares qui ne se faisaient pas au Mali, un des plus vieux pays musulman. On a tous pleurer la première fois qu'une main a été coupée, on était abasourdis, on ne comprend pas ces actes barbares. Les gens d'Aqmi se revendiquent musulmans, mais le Mali est un pays musulman séculaire. Sur un plan théologique, le grand Sud possède un grand savoir qui se transmet depuis l'avènement de l'islam. Nous avons des théologiens d'un très haut niveau et de grande qualité et qui sont prêts pour le dialogue. Mais il ne faut pas oublier que le premier verset du Saint Coran c'est «Iqraa». Nous avons aussi une citation qui dit que l'encre de la plume du savant est plus sacrée que le sang du martyr. Aujourd'hui, personnellement je pense aussi que les fils de la République sont prêts à verser leur sang pour préserver notre mémoire, notre savoir séculaire et notre patrie.