Photo : S. Zoheir Par Mohamed Rahmani Le rapport de l'Algérien au livre est plutôt conjoncturel et obéit à des besoins limités sans autre intérêt que la raison pratique. On lit juste parce qu'on veut s'informer sur quelque chose, pour apprendre telle ou telle notion, pour se former dans tel domaine ou tel autre. Mais tenir un livre dans la main, lire le contenu, en dévorer les chapitres, se délecter de ces écrits et se passionner pour l'œuvre d'un auteur, est une attitude qui a disparu depuis longtemps de nos mœurs. Rares sont ceux qui, dans un aéroport, une gare ou une station de bus ou de tramway tiennent un livre à la main et sont plongés dans sa lecture.Pour l'enfant, le premier rapport au livre est celui qu'il découvre par ses parents qui, le soir, en le mettant au lit pour dormir, lui lisent un conte écrit, une histoire qu'il découvre, qui l'intéresse et qu'il suit avec passion. De là, l'initiation au livre prend forme, l'enfant se l'approprie, le feuillette, découvre les images puis s'intéresse aux signes qu'il apprendra plus tard à déchiffrer par lui-même. Les lectures de textes choisis lui donneront le goût et le plaisir du texte qu'il dévorera volontiers mais qu'il trouvera plus tard insuffisants. Dès lors, il ira lui-même à la recherche des œuvres d'où sont extraits ces textes pour les lire entièrement. Le livre deviendra pour l'adolescent qu'il sera, un ami inséparable auquel il reviendra souvent, en allant dormir le soir, pendant les vacances et pendant les longues nuits d'hiver. Ainsi, il sera un mordu de la lecture, il aura son livre de chevet et sera un abonné des bibliothèques et un habitué des librairies.Tout cela a disparu aujourd'hui. A l'ère de l'informatique, du DVD et de l'Internet, on ne lit plus et les livres s'entassent dans nos bibliothèques, attendant des lecteurs qui ne viennent pas. Ces lieux sont la plupart du temps déserts ; on y voit seulement des étudiants en train de se documenter sur tel ou tel sujet pour une recherche ou un exposé exigé par l'enseignant, autrement on ne s'intéresse guère au livre, considéré comme dépassé et sans aucune utilité par la majorité des gens. La culture du livre, ce livre qui est la première porte menant au savoir et à la culture, ce livre par qui la connaissance a été acquise est aujourd'hui, ignoré, oublié et boycotté. La nouvelle génération ne connaît pas les classiques, les grandes œuvres littéraires qui ont bercé des générations et des générations, le plaisir de feuilleter un livre, d'en tourner les pages pour découvrir la suite, cette impatience d'aller jusqu'au bout, tout simplement, cette passion pour cette invention géniale.De nos jours, dans nos écoles, c'est à peine si les enfants savent déchiffrer et lire, on n'y inculque plus le goût de la lecture, cette passion pour le livre, on se contente juste de suivre le programme, un programme axé essentiellement sur les connaissances pratiques. Et comme on dit, «tout le reste n'est que littérature», autrement dit peu de chose, sinon rien. Le Salon international du livre d'Alger avec ses 700 exposants venus de 43 pays n'a pas drainé les foules de l'intérieur du pays, c'est juste une manifestation culturelle organisée par habitude, sans plus. Il n'y a pas eu promotion du livre à travers les villes du pays, encore moins de conférences ou d'expositions et l'on s'est contenté de la capitale et de sa périphérie. Mais la capitale seule n'est pas l'Algérie. Il fallait que le livre aille à la rencontre du public dans les quartiers populaires, dans les rues, pour «renverser la vapeur», pour que cet ami oublié soit réhabilité et retrouve sa place dans la société.