La Tribune : Pourriez- vous nous parler de votre saga Houma Fighter qui connaît un grand succès auprès des jeunes ? Saïd Sabaou : «Houma Fighter» est un manga algérien qui retrace le parcours de Sofiane Bekhti, un kick boxer virulent, qui ne respecte pas les règles ce qui l'amène à être radié de la fédération algérienne. Un peu perdu suite à cette exclusion il va penser à devenir harrag, mais par hasard il découvre le tournoi «Houma Fighter», un tournoi de combats de rue où la seule règle est qu'il n' y a pas de règle, cela va lui plaire. On découvre alors des arts martiaux typiquement algériens, tel que le «hadjoubisu», en hommage à la femme voilée. C'est un art martial qui permet de cacher des armes puissantes sous le voile, c'est de l'humour de second degré pour donner une image positive des femmes voilées. L'intérêt aussi, c'est que l'on découvre des arts martiaux puisés dans la culture algérienne avec un humour décalé. Je me suis personnellement inspiré de l'humour d'Athmane Allouiat, de Fellag, de l'ancienne émission «Bila Houdoud». Il y a aussi une histoire d'amour à l'algérienne, Sofiane est amoureux de sa voisine, mais comme il ne peut pas exprimer ses sentiments cela se traduit par des bagarres pour attirer l'attention de celle qu'il aime. J'aborde aussi différents problèmes et fléaux sociaux mais d'une manière drôle.
Est-ce que cela a été facile de créer un style de manga typiquement algérien ? Au début, ce n'était pas facile d'algérianiser le manga, il a fallu beaucoup de travail pour créer un genre spécifique à l'Algérie. On garde les mêmes techniques de narration, le découpage, le dessin, mais le fond est à 100% culture algérienne. Notre ambition vise les personnes qui ne connaissent pas l'Algérie, et qui après avoir lu ces mangas algériens soient curieux de découvrir notre algérianité et ses particularités et pourquoi pas même nos «mhadjeb» et notre «garantita».
Mais à propos de vos lecteurs algériens, que pensez-vous du constat que les jeunes algériens ne lisent pas ? Le fait que les jeunes ne lisent pas est un cliché et un préjugé contre lequel je me bats. J'ai remarqué lors de différentes rencontres et même dans le cadre de ce festival, des jeunes qui se ruent dans les stands pour acheter les BD et pour les faires dédicacer. Ces jeunes nous suivent également sur les réseaux sociaux qui contribuent à la découverte de talents et amènent les jeunes à la lecture.
Et quel-est votre message aux jeunes à travers vos BD ? La BD est un support ludique et intéressant pour la transmission des valeurs nobles. On essaye d'utiliser cet outil pour transmettre des valeurs sur l'espoir, le respect d'autrui et des différences. On aborde même le sujet sensible de la religion pour cultiver l'esprit de la tolérance d'une part et d'autre part dénoncer certains préjugés, à l'exemple de celui de la femme voilée considérée par les médias occidentaux comme une femme arriérée et marginalisée. Dans nos mangas cela devient une héroïne à part entière. A propos des valeurs de la citoyenneté, dans l'une de mes BD, j'ai traité le sujet de l'agression dans la rue avec humour, car cela permet de faire passer le message avec finesse. Même si les lecteurs rient, cela permet d'attirer l'attention sur des sujets graves qui gangrènent la société et d'amener le lecteur à se dire qu'il faut remédier à cette situation.
Vous avez publié «Le Prix de la Liberté» dans le cadre de la célébration du cinquantenaire de l'Indépendance, que représente pour vous cette date symbolique ? Personnellement, je pense que le combat pour l'indépendance est un modèle spirituel et identitaire qui peut permettre à l'Algérie d'aller de l'avant. Malheureusement, en général, les jeunes ont perdu leurs repères identitaires et se dirigent vers d'autres cultures car ils sont complètement perdus. En tant qu'auteur, j'essaye de me réapproprier nos repères identitaires pour les transmettre aux jeunes. J'essaye de transmettre les valeurs de ces héros de la Guerre de Libération nationale, il ne faut surtout pas oublier que c'étaient des jeunes de notre âge qui ont tout sacrifié pour libérer notre patrie. Je pense que ce sont là les véritables valeurs de l'identité algérienne : celle du sacrifice, du travail, du sérieux et du respect d'autrui. Ces valeurs étaient réelles en Algérie mais malheureusement elles ont disparu. Aujourd'hui, j'ai de l'espoir, car les jeunes prennent de plus en plus conscience de cette situation. Car l'«algérianité», c'est aussi l'amour, le respect et la combativité face aux difficultés que l'on peut rencontrer.