L'idée est finalement partie d'une image sur Facebook. Et un commentaire du chroniqueur au sujet d'une superbe photo d'une porte sublime donna corps au sujet. Ladite porte n'était pas en effet celle Sublime de l'empire ottoman. Elle évoquait plutôt une porte sublime dans la Casbah d'Alger où les Ottomans installèrent une régence. Le temps d'une ballade et de relectures de quelques écrits d'auteurs séduits par la vieille Citadelle, et l'idée fut alors d'évoquer les portes de cette ville inscrite depuis 1992 au patrimoine mondial de l'humanité. Ce n'est pas la chronique du temps passé mais celle du temps qui offense, de la main de l'Homme qui toujours dégrade et avilit. Mais surtout du souvenir du beau qui ensorcelle encore. Certes, s'ils revenaient visiter leur ville, Bologhine Ibn Ziri et Salim Ettoumi pleureraient à chaudes larmes, prendraient de Lexomil ou s'en prendraient à Sidi Abderrahmène, son saint tutélaire qui n'a pas su la protéger de l'affront, de la profanation et du sacrilège. Il est vrai que 430 maisons des 1 200 encore debout en 1962, se sont effondrées et, avec, une partie de l'âme de la Casbah. Aujourd'hui, des chats maléfiques et des gravats entassés disputent les ruelles aux habitants et aux passagers en maraude. La Casbah se meurt, par petits bouts ou par pans entiers. Rien ne peut arrêter son inexorable déchéance. La décrépitude est criarde et la déliquescence poignante. Mais elle fait encore illusion la ville. Erigée sur un terrain en pente, avec ses rues tortueuses et ses ruelles sinueuses en escaliers, ses impasses, ses passages voûtés, ses maisons en étagement enchevêtrées et solidaires, tels des legos imbriqués face à la mer, elle est à la fois un ravissement et un crève-cœur. Alger, c'est la Casbah. Et l'antique citadelle ce sont sept portes qui n'existent plus que dans la mémoire collective, par la magie de la toponymie. Celle Bab El Oued, Bab Triq Essour, Bab Azzoun, Bab Dzira, Bab Elbhar, Bab El Casbah et Bab Jdid. Voies d'accès à la vieille dame que l'armée française détruisit pour ériger l'actuelle Place des martyrs et les immeubles haussmanniens aux alentours. Mais oublions un instant le temps présent de l'affliction pour rester dans l'évocation du merveilleux. Par exemple, celui du Corbusier qui jugea son urbanisme parfait. Celui des peintres orientalistes Eugène de Lacroix et Eugène Fromentin. Celui du miniaturiste Mohamed Racim. Encore et toujours encore, celui des musiciens, des cinéastes, des écrivains, des bédéistes, des artisans, des poètes et des chanteurs. Et de bien d'autres amoureux d'une ville tout en méandres mystérieux, avec ses mausolées, ses mosquées et ses médersas. Ses maisons alaoui, ses maisons à Kbou, ses maisons à portiques et ces autres masures à encorbellement. La casbah est la ville de l'Homme, de l'âne et des bourriquotiers-éboueurs, seuls à pouvoir arpenter ce labyrinthe sans voitures. La Casbah qui, à l'origine, descendait jusqu'à l'Amirauté, c'est les parfums de jasmin et de messk éllil, le cestrum nocturnum, le roi des fragrances, le galant de la nuit. C'est le châabi, avec les voix de jasmin de Cheikh Nador, El Anka, Hadj Mrizek et de bien d'autres légendes. C'est la chanson judéo-arabe avec l'inoubliable Lili Boniche, sans oublier les autres. C'est le cinéma avec les frères Lumière qui filmèrent les sortilèges et les lumières de la Casbah. C'est Jean Gabin dans le costume de Pepe le Moko. C'est la Bataille d'Alger, Gillo Pentecorvo, Ali La Pointe contre Bigeard, P'tit Omar, Hassiba Ben Bouali, et les trois Djamila, Boupacha, Bouazza et Bouhired. C'est Abbane Ramdane et Larbi Ben Mhidi contre Robert Lacoste. La ville de Béni Mezghenna, c'est finalement mais jamais enfin La Colline visitée par Rachid Mimouni et illustrée par Jacques Ferrandez. Sans oublier le mystère au miel des boqalas, El Qaçba Zemân de Kaddour M'hamsadji et la Casbah Lumière de Himoud Brahimi. Après tout, diriez-vous, c'est Tahya Ya Didou et Momo qui vante Sa mienne Casbah. Qui chante Encore Elle, qui s'écrie du môle d'Alger : «Alger la palombe, colombe ravie, les mouettes au port, les bateaux ancrés.» N. K.