La crise politique se durcit en Egypte. L'adoption d'un projet de Constitution par la commission constituante est au cœur d'un imbroglio politico-juridique périlleux. Les opposants au président Mohamed Morsi dénoncent «un coup d'Etat contre la démocratie», selon l'expression de Mohamed El Baradei, monté au créneau dans une bataille politique qui prend des proportions dangereuses. Après des mois de blocage, le projet de Constitution a été adopté en quelques heures par la commission constituante dominée par les islamistes et boycottée par l'opposition de gauche et laïque ainsi que par les coptes. Ce projet de Constitution fait des «principes de la charia» la «source principale de la législation», une formulation qui fait consensus en Egypte. Mais le texte octroie à l'Etat un rôle de «protection de la moralité» et interdit «l'insulte des personnes humaines» et des «prophètes». De quoi ouvrir la voie à la censure avec ses dérives. Le texte vient couronner le renforcement des pouvoirs que s'est octroyés le président Morsi. Après s'être attribué le pouvoir législatif en août dernier, le président s'est placé au-dessus de la justice par décret le 22 novembre. Ce décret place en effet ses décisions, ainsi que la commission constituante, à l'abri de tout recours en justice. Une aberration pour une majorité d'Egyptiens qui ont fait chuter dans la douleur le régime Moubarak pour se retrouver face à une autre autocratie. Une situation qui provoque un début de chaos politique en Egypte. La Haute Cour constitutionnelle qui conteste ce décret, décide de ne pas en tenir compte. Les juges décident de renoncer à leurs audiences, les locaux de la Cour étant encerclés par des centaines d'islamistes partisans du président Morsi. Les magistrats entendent toutefois maintenir la pression et défier le décret présidentiel qui leur interdit la dissolution de la commission constituante. En dépit des manifestations qui divisent le pays, le président Morsi a appelé les Egyptiens à se prononcer sur le projet de Constitution le 15 décembre prochain. Mais pour l'opposant Mohamed El Baradei «la lutte continue». «Morsi soumet à référendum un projet de Constitution qui sape les libertés fondamentales et viole les valeurs universelles.» Avec l'ancien candidat à la présidentielle, Hamdeen Sabbahi, il a appelé le peuple à «utiliser tout moyen pacifique pour protester, dont la grève générale et la désobéissance civile». La presse égyptienne, au cœur de la mêlée, s'en donne à cœur joie, fustigeant «une Constitution qui supprime des droits et menotte la liberté». Des journaux ont décidé de ne pas paraître, en protestation contre le manque de garanties pour la liberté de la presse dans le texte qui fractionne le pays. Plusieurs partis et groupes de l'opposition dénonçant le projet de Loi fondamentale et les pouvoirs élargis que s'octroie Morsi, sont mobilisés. Sur fond de bataille de procédures interminables. La Haute Cour constitutionnelle avait rejoint la Cour de cassation et d'autres tribunaux du pays dans une grève illimitée pour dénoncer des «pressions» exercées par le camp du président islamiste. Le pouvoir judiciaire est engagé dans une épreuve de force inédite avec le président de la République. La crise a provoqué depuis 10 jours une forte mobilisation dans les rues du Caire et des principales villes du pays. Morsi, qui a plusieurs fois juré que ses pouvoirs élargis prendraient fin dès l'entrée en vigueur d'une nouvelle Constitution, a invité tous les Egyptiens à se prononcer sur le texte lors du référendum prochain. Ainsi donc la première expérience des Frères musulmans en Egypte au pouvoir s'avère problématique. Bien que le président Mohamed Morsi a eu le courage de tenter de pousser les «rebuts» du système dans leurs derniers retranchements, il commet une erreur politique en s'attribuant les pleins pouvoirs faisant remonter les vieux démons. Le pays se trouve face à une phase de transition interminable. L'Egypte dispose, certes, d'un président légalement élu. Mais la Chambre des députés a été dissoute par la justice. L'économie ne cesse de chuter. La sécurité se dégrade. La révolution risque donc fortement de déboucher sur l'anarchie si des concessions ne sont pas consenties de part et d'autre. Morsi avait profité de l'état de grâce post-révolution pour mettre sur la touche l'état-major de l'armée et le Conseil suprême des forces armées, qui avaient hérité du pouvoir (du moins la partie visible) après le départ de Moubarak. Seulement, aujourd'hui en centralisant une bonne partie des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires entre ses mains, il rallume des feux qu'on croyait affaiblis. Il réussit l'exploit d'unir le camp libéral, jusque-là épars et divisé, de se mettre à dos la presse et la justice et de ressusciter une dynamique contestataire. La place Tahrir est réinvestie de nouveau par les révolutionnaires de la première heure. Tout un symbole. M. B.