Une rencontre sur Frantz Fanon a réuni, hier à la Bibliothèque nationale d'El Hamma, un panel de chercheurs, entre psychiatres, historiens et écrivains autour de ses écrits et sa mémoire. Ils ont, à l'occasion, annoncé l'installation d'un groupe d'études et de recherches Fanoniennes, qui aura à répertorier ses œuvres en vue de les préserver, et la création d'une association devant agir dans le même objectif. Les intervenants ont mis en exergue Fanon le psychiatre, qu'ils estiment avoir été occulté, et se sont penchés sur les projections contenues dans ses écrits, particulièrement «Les damnés de la terre», dont les idées sont encore d'actualité aujourd'hui, s'agissant notamment du colonialisme, de l'«aliénation», et la révolte. En évoquant les sacrifices de ce penseur et militant actif de la révolution algérienne, Abdelhak Benouniche, psychiatre de son état, qui a le premier pris la parole, a estimé que «ce sacrifice n'a pas été payé de retour jusque- là, et que c'est un juste retour des choses qu'enfin des psychiatres puissent dire les choses comme elles se sont passées, et qu'il (Fanon ndlr) ne fasse plus l'objet d'une occultation systématique, comme cela a été le cas jusque là». Et de la rencontre, il a espéré qu'elle inaugure une nouvelle façon d'approcher Fanon, de le redécouvrir, parce qu'en matière psychiatrique ce chemin n'a pas encore était fait».Mohamed Chakali, pour sa part, s'est interrogé sur ce qui reste de la pensée de Fanon de nos jours. En affirmant qu'il appartient à la troisième génération de psychiatres après Fanon, il a tenu à réaffirmer que «les gens qui pensent que Fanon ne l'était pas (psychiatre ndlr) se trompent lourdement», mieux, «Fanon a participé très activement au mouvement de transformation de la psychiatrie dans les années 50, avant de venir à Blida, malgré une vie qui a été trop courte pour lui. Mais dans ce laps cours de temps il a fait un travail sur le psycho-traumatisme qui est précurseur», a-t-il indiqué. Sur la communication que reste-il de Fanon ? Il répond en affirmant «qu'il en reste beaucoup de choses, si on commençait à l'affirmer, et je suis sur que c'est le début d'un long processus», pour ensuite céder la parole a Olivier Fanon, qui a déclaré qu'à Aïn Kerma la commémoration de la mort de Fanon a été l'occasion d'ériger une stèle en son honneur et a annoncé solennellement que les habitants d'Aïn Kerma (Tarf) ont souhaité que ce village soit baptisé «village Frantz Fanon», «ce qui m'a donné la chair de poule, et dépassé toutes mes illusions concernant l'appartenance de Fanon à cette terre algérienne». Olivier Fanon a lancé, qu'«il n'y a pas eu occultation volontaire» de l'œuvre de son père, indiquant qu'«il y a eu beaucoup de péripéties depuis notre Indépendance, et à un certain moment nous étions victimes d'autocensure, parce que Fanon était un éveilleur de conscience et un empêcheur de dormir tranquille, jusqu'à aujourd'hui, et pas seulement en Algérie. Son œuvre est étudiée au Japon et aux Etats-Unis, pourquoi ne l'est-elle pas chez lui ?». En réponse à cette demande de réappropriation de la mémoire de Fanon, Slimane Hachi, le directeur du Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (Cnrpah), a rappelé que ce genre de manifestation, autour de l'œuvre, l'action et la pensée de Frantz Fanon, était devenue presque une tradition annuelle. M. Hachi, a indiqué, également que le premier groupe d'études et de recherches sur l'œuvre Fanonienne sera mis en place sous forme de laboratoire affilié au Cnrpah, et travaillera de concert avec l'association éponyme, et qu'en avril 2013 sera organisé un colloque sur l'actualité africaine de Frantz Fanon. Alice cherki, psychiatre et psychanalyste (Paris), quant à elle, a, dans son analyse du contenu des livres de Fanon, estimé qu'il était le précurseur pour avoir parlé dans «Les damnés de la terre» de la rupture entre les institutions et la société et tenté l'élaboration de la théorie de l'«aliénation». Son analyse du comportement des «déclassés», qu'il a appelé le «lumpen prolétariat», de même lorsqu'il invite à «un canal de négociations», montre que ses écrits sont d'une grande actualité. Elle dépeint aussi «la haine pulsionnelle», comme un cri de cœur des jeunes. Enfin «Fanon est du côté de la libération de l'homme par l'homme», dit-elle. Lui succédera Beneducé Roberto, psychiatre et anthropologue à Turin, qui traitera du racisme et plaidera pour la décolonisation de la Palestine et du Sahara occidental. Au programme également, des interventions sur l'œuvre de Fanon face au risque d'instrumentalisation, de Michel Giraud, Fanon vu du nord de l'Europe, par Tuomo Melasuo, de Finlande, et la décolonisation et chute des masques, de Fatima Dilmi, et Fanon et notre Caraïbe, présenté par Francis Carole. A. R.