Le président français, François Hollande, est attendu à Alger pour une visite officielle les 19 et 20 décembre courant. Attendu, pas par tous les Algérois. Car, au-delà des officiels, des acteurs politiques ou médiatiques, les citoyens de la capitale n'accordent que peu d'attention à cet évènement. En ce jour de semaine nuageux, à moins de quarante-huit heures de la visite, les rues d'Alger sont animées comme de coutume, par un va-et-vient incessant de passants et d'automobilistes. Une journée ordinaire, sauf pour les agents de nettoyage et quelques employés des entreprises de travaux publics qui s'échinaient encore à lustrer les artères de la capitale par où le cortège présidentiel est sensé passer. Les échafaudages et autres engins de travaux ou d'éclairage publics dérangent un tantinet le flux de circulations piétonne et automobile. «Je ne comprend pas pourquoi on lance ces bricolages d'embellissement à la dernière minute ! Ils (les pouvoirs publics) savent depuis des mois, que l'évènement va avoir lieu. Mais il est vrai que ce genre de travaux à la va-vite ne dure que quelques jours, donc rien ne sert de le faire plutôt. Et puis, il faut se donner une marge pour un prochain budget de nettoyage. Sinon, que feront les élus locaux de leur mandat, si Alger était toujours aussi propre», ironise un élégant quinquagénaire assis ous l'abribus square Sofia à quelques dizaines de mètres de l'emblématique Grande Poste d'Alger. «La visite de Hollande ? Le cortège présidentiel passera certainement par cette artère (le boulevard Zighoud Youcef). Il passera à côté du siège de la Banque d'Algérie. Je crois que c'est là surtout son centre d'intérêt», plaisante encore l'ancien cadre de cette même banque. «Le président français à Alger ? C'est un acte politique ça. Par expérience, ce qui est politique ne m'a jamais rien apporté de bon. Donc, je ne me sens pas concerné. Je pense que c'est une rencontre entre gens qui se connaissent. Moi je ne connais aucun des invités. Finalité, ça ne me regarde pas», tente de raisonner un jeune algérois barbus mais non salafiste. «C'est juste un style», croit-il devoir dire. Sur la question des visas, le jeune «grunge» explique que l'immigration vers la France est une ambition «ringarde». «Pour un visa Schengen peut-être, transiter par la France pour aller en Allemagne ou vers les pays scandinaves ou alors l'Angleterre et l'Irlande, oui. Mais la France ce n'est plus une destination à la mode pour les jeunes d'aujourd'hui. Donc, non, je n'attends rien de ce côté de la visite du président français», affirme le jeune étudiant. Plus loin, à la rue Belouizdad, près de l'agence de la Sonelgaz, une vieille personne emmitouflée dans un lourd manteau est assise sur un banc public plongée dans un article de presse. «Ce que j'attends de la visite du président Français? Si je savais qu'un jour, je devais attendre quelque chose de l'Etat français, pourquoi aurais-je donc porté les armes pour la faire (la France) sortir de ce bled», rétorque Akli qui déclare être un ancien combattant «non encarté (qui n'a pas sa carte de moudjahid) de la wilaya III historique. «J'ai bien connu le colonel Amirouche, et on ne s'est jamais posé cette question dans les maquis», ironise-t-il. Au siège de l'association des anciens condamnés à mort de la Guerre de libération nationale, Mustapha Boudina relativise. «On est contre les voix qui se sont élevées pour dire à M. Hollande qu'il n'est pas le bienvenu ici. Et on s'élève aussi contre ceux qui accordent trop d'importance à cet évènement. Pour notre part, on attend de voir ce qu'il apporte comme discours pour juger si la visite est historique ou pas», avance le président de l'association. «Il y a eu, après l'indépendance quatre visites officielles de présidents de la République française à Alger (Valéry Giscard D'Estaing en 1975, François Mitterrand en 1981, Jacques Chirac en 2003 et enfin Nicolas Sarkozy en 2007), c'était des non-évènements finalement». Mustapha Boudina explique que la France passe par un long processus de reconnaissance de son histoire coloniale avec un effet «rétroactif». «Ils ont d'abord reconnu que ce qui s'est passé ici n'était pas de simples évènements, mais bien une Guerre. Ensuite, ils ont reconnu les massacres du 8 mai 1945. Et récemment ceux du 17 octobre 1961. Ce qu'on demande nous (anciens condamnés à mort) ce n'est pas la repentance de la France qui n'est pas une notion inscrite dans nos valeurs. On veut que l'Etat français se démarque des criminels qui ont en leur temps, commis des crimes sur le peuple algérien. Et qu'il retienne dans un calendrier futur la question du pardon», préconise l'ancien condamné à mort. «Il faut maintenant adopter une attitude pragmatique. Parler d'égal à égal avec la France. La réparation du préjudice colonial, il peut se faire par le biais d'investissement massif et d'un partenariat fort entre les deux pays», poursuit-il. «J'ai tendance à m'éloigner de tout ce qui représente le folklore politique. Mais là, je suis outré par le trop-plein d'importance accordé à cette visite par les médias. Et puis cette frénésie du paraitre par ces travaux de dernière minute me rebute. Ca dénote d'un complexe majeur vis-à-vis de nos visiteurs. Et de surcroît, c'est pour un président français qu'on fait tout ça ! Allah yerham echouhada (que Dieu accorde Sa Miséricorde aux Martyrs)», se désole le vieux Akli. S. A.