Deux ans après, le «printemps arabe» - un vocable utilisé pour désigner la vague de soulèvements dans les pays arabes- n'a pas encore livré tous ses secrets. Pour des analystes spécialistes en géopolitique, et chercheurs en sciences politiques et du monde du renseignement, ces révoltes - qu'ils préfèrent à révolutions- ont, aujourd'hui, beaucoup plus de conséquences néfastes que de bienfaits sur les pays où elles se sont produites. En ce sens que les changements de régime ont abouti à la montée de régimes islamistes radicaux, des situations sécuritaires déplorables, la régression économique, des menaces de guerres ethniques et de morcellement de ces pays plutôt qu'à une démocratisation attendue. Ce constat étant fait, Saïda Benhabylès a, en sa qualité de membre fondatrice du Ciret-Avt et détentrice du prix des Nations unies pour la société civile en 2001, lors de son intervention, étayé ses dires en s'interrogeant pourquoi ces pseudo-révolutions ont touché essentiellement l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient, non pas les pays du golfe, qui ne constituent pourtant pas un exemple de démocratie ? Pourquoi aucun slogan anti-Israël n'a été prononcé tout au long de ces révoltes? Cela devrait nous inciter à réfléchir à la face cachée de ces révolutions arabes a-t-elle dit, pour susciter les débats parmi les analystes, réunis lors d'une journée d'études sur «Les révolutions arabes: mythe ou réalité», tenue à l'initiative du Mouvement féminin algérien de solidarité avec la famille rurale, en association avec le Centre international de recherche et d'étude sur le terrorisme et l'aide aux victimes (Ciret-AVT) section Algérie, à l'hôtel Hilton, à Alger. Nombre d'entre eux, dont Yves bonnet, Eric Dénécé et Majed Nehmé, co-auteurs de «La face cachée des révolutions arabes», paru aux éditions ellipses, ont soutenu que ces «révolutions» sont le résultat d‘un malaise sociétal réel mais instrumentalisées, qu'elles sont «des révolutions pilotées et mises en scènes par l'étranger» afin de promouvoir des intérêts nationaux. Le président du CIret-AVT, et ancien chef de la Direction de la surveillance du territoire (DST) en France, Yves Bonnet, a, quant à lui, abordé la problématique des ingérences étrangères dans l'espace méditerranéen depuis les Grecs, en passant par la Russie et enfin les Etats- Unies et Israël, indiquant qu'aucune ingérence ne s'est avérée bénéfique pour les peuples de la région et que toute appropriation finira par échouer. Il défend l'idée selon laquelle «la politique d'Israël est de fragmenter le monde arabe» et de «faire en sorte que les gouvernements qui lui sont hostiles ne puissent même pas exister», mais, avant de brocarder les régimes dictatoriaux de la région, il a rappelé aux bons souvenirs de chacun, que le Baath, en Irak et en Syrie, était à l'avant-garde des aspirations du monde arabe. Ces régimes apportaient des réponses meilleures que n'en apportent ceux d'aujourd'hui, L'obsession américaine du danger russe a été à l'origine de la mise en œuvre de sa politique de «containment» (endiguement), en soutenant les régimes sûrs qui ont été placés en postes de gardes aux frontières de la Russie. Pour l'intervenant, elle a aussi amené les Américains, lors de l'invasion de l'Afghanistan par les Russes, a encourager la résurgence d'un certain spiritualisme dans les pays arabes, et à fabriquer cette réaction intégriste, car «l'islam est une religion naturellement apaisée», a affirmé Yves bonnet. Les régimes qui ne se soumettaient pas à cette politique étaient devenues des cibles potentielles de cette ingérence systématique dirigée contre les pays hostiles à Israël. En dépit du fait qu'elles étaient constantes et contre-productives, les ingérences extérieures en Méditerranée ont échoué et n'ont apporté ni de démocratie, ni de bien-être, mais elles sont hautement condamnables, conclut l'intervenant. En abordant, pour sa part, l'aspect technique des «révolutions» arabes, en démontrant le rôle des ONG, réseaux sociaux, Eric Denécé, ancien analyste du renseignement, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement, a clairement signifié que le printemps arabe a été planifié de longue date par les Américains, mais n'a été rendu possible que parce qu'il y avait des prédispositions au sein des sociétés arabes. Qu'il est le résultat des mouvements d'insatisfaction qui existent partout, et qui ont été détournés pour servir les intérêts des Américains. Eric Denécé a fait état d'une politique au niveau du département d'Etat, en préparation depuis une dizaine d'années. La principale méthode mise en place par les Américains pour le soutien des révolutions arabes est «la tactique des actions civiles non violentes», qui consiste, d'abord, a identifier les leaders d'opinion comme futurs probables interlocuteurs et à mettre les moyens pour cela. Cette stratégie est soutenue par Internet(blogs), les réseaux sociaux et les chaînes de télévision (main-streaming), lesquels servent de relais médiatiques, et dont wikileaks a été l'une des manifestations qui a constitué un accélérateur du printemps arabe, pour avoir été très astucieusement mise a profit pour servir les intérêts des Américains. Pour Eric Denécé, les révolutions arabes n'ont eu que des conséquences néfastes, qu'il s'agisse de reprise de révolution et de contre-révolutions, radicalisation des régimes et des islamistes, risque d'affrontement des forces armées et de décomposition de certains Etats, la déstabilisation de toute la région du Sahel, avec un relent de guerre froide entre la Chine, la Russie, et les Etats-Unis. Ces derniers, estime-t-il, sont allés beaucoup plus qu'Israël en jouant aux apprentis sorciers. Pour sa part le conseiller à la sécurité, Kamel Rezag Bara, a souligné l'importance de la tenue de ce genre de débats affirmant que «si on veut renforcer le front intérieur, il faut multiplier ce genre de rencontres pour que la question de la sécurité soit prise en charge par le peuple». Majed Nehmé, directeur d'Afrique-Asie, Zouhir Arrous, professeur chercheur au Cread, ont également démontré que ces révolutions n'ont pas produit les effets attendues et que les forces anti-démocratiques ont été placées à la tête de ces pays. Mais l'optimisme est de mise aussi, à travers l'émergence d'un axe de résistance à l'«hégémonie» américaine. A. R.