Ce que les dirigeants des puissances économiques refusent d'admettre, c'est l'échec d'un modèle économique et d'un ordre mondial inégal et injuste. L'ultralibéralisme reaganien et tacherien, qui a débuté dans les années quatre-vingts avant de déferler sur tous les continents, notamment après les changements structurels induits par la chute du Mur de Berlin et la dislocation du bloc de l'Est, traduisait la victoire de l'Occident dans sa guerre froide contre l'Urss. L'affaiblissement politique du bloc socialiste conséquence de son essoufflement économique a encouragé les adeptes du libéralisme sauvage pour instaurer un système financier et économique au seul service des multinationales et des bulles spéculatives. Les pays du Sud qui étaient en difficulté économique, ont subit de plein fouet les injonctions du FMI et de la Banque mondiale qui leur a imposé des réformes drastiques ayant élargi le fossé entre les riches et les pauvres et aggravé leur dépendance des économies du Nord. La chute des prix des matières premières, principales ressources en devises des pays du Sud, a contraint ces derniers à s'endetter et à devenir les otages des créanciers qui leur imposaient des politiques de paupérisation et d'exclusion. Pendant près de vingt ans, les pays Occidentaux accumulaient des richesses colossales aux dépens du reste du monde ce qui a aggravé la fracture scientifique, numérique, technologique et du savoir-faire. Mais c'est à travers ces attitudes égoïstes que le Nord a creusé le lit d'une crise économique qui menace des ensembles géopolitiques comme l'Union européenne. Le capitalisme mondial produit les facteurs de sa propre faillite. A partir de 2008, on assiste au retour du boomerang. Lorsque la crise touche «la famille», les égoïsmes individuels l'emportent sur les liens de parentés et sur la solidarité familiale. C'est ce qui se passe aujourd'hui dans les pays occidentaux qui subissent les effets de la crise de plein fouet et n'arrivent plus à répartir les dividendes de leur domination économique sur la communauté nationale. La crise financière d'aujourd'hui se caractérise par le surendettement des Etats et des ménages alors que les débouchées économiques sont saturées. D'où l'impasse des économies européennes et américaines. Les pays émergents ont résisté jusque-là en raison, d'une part, de leur solvabilité et, d'autre part, de l'existence de débouchées pour leurs productions qu'ils arrivent à commercialiser. Depuis le dernier trimestre 2012, les économies des pays émergents commencent à s'essouffler et à ralentir progressivement. Ce constat fait dire aux économistes que les perspectives de la reprise s'éloignent et une récession générale risque d'assombrir l'économie mondiale. Des analyses pessimistes fusent de partout et annoncent «des nuages noirs et bas (qui) viennent de toutes les directions menacer l'économie mondiale : de la zone euro, des USA, de la Chine et d'ailleurs. Aussi dès l'année prochaine l'économie mondiale pourrait se trouver en danger». Pour Nouriel Roubini, professeur au Stern School of Business, «tout d'abord la crise de la zone euro s'aggrave, tandis que l'euro reste une devise forte : l'austérité aggrave la récession dans de nombreux pays membres, la restriction du crédit à la périphérie et le prix élevé du pétrole font obstacle à la reprise. Le système bancaire de la zone euro se balkanise, les lignes de crédit transfrontalières et interbancaires sont coupées et la fuite des capitaux pourrait se transformer en panique bancaire dans les pays de la périphérie, si comme c'est probable la Grèce fait une sortie désordonnée de la zone euro dans les prochains mois. La crise budgétaire et celle de la dette souveraine s'aggravent, le spread des taux d'intérêt pour l'Espagne et l'Italie atteignent à nouveau des sommets intenables. La zone euro pourrait avoir besoin non seulement d'un plan de sauvetage international des banques (cela vient d'être le cas pour les banques espagnoles), mais aussi pour la dette souveraine à un moment où les pare-feux de la zone euro et de la communauté internationale ne suffisent pas à empêcher la glissade de l'Espagne et de l'Italie». Il s'agit là d'un scénario catastrophe que l'analyste n'écarte pas au vu des performances peu réjouissantes réalisées par les économies européennes pour éviter le clash. Le professeur Roubini n'écarte pas «un effondrement désordonné de la zone euro». Pour lui les Etats-Unis ne sont pas mieux lotis puisque l'économie s'affaiblit, la croissance du premier trimestre n'atteignant qu'un misérable 1,9% -bien en dessous de son potentiel. La création d'emplois a baissé en avril et mai et «l'économie américaine pourrait se retrouver au point mort vers la fin de l'année. Pire encore, le risque d'une récession à double creux l'année prochaine augmente : même si la fin de certains avantages fiscaux n'affecte pas trop la croissance, la hausse probable de plusieurs taxes et la réduction de certains transferts diminuera la croissance du revenu disponible et de la consommation», conclut le professeur Roubini qui analyse la situation de l'économie mondiale de l'année 2012 avant de faire des projections sur l'économie en 2013. Ce qui conforte la thèse pessimiste de Roubini, ce sont les indicateurs de la troisième économie du monde. «En Extrême-Orient le modèle de croissance de la Chine est à bout de souffle, son économie pourrait s'écrouler en 2013 alors que la chute des investissements se poursuit et que les réformes destinées à stimuler la consommation représentent trop peu de choses et viennent trop tard. Une nouvelle direction à la tête du pays doit accélérer les réformes structurelles pour réduire l'épargne publique et accroître la part de la consommation dans le PIB. Mais du fait de la probabilité d'une transition politique chaotique et des divergences parmi les dirigeants quant au rythme des réformes, elles s'effectueront sans doute beaucoup trop lentement.» Le professeur estime que la conjugaison du ralentissement économique aux Etats-Unis, dans la zone euro et en Chine se traduira par l'arrêt de la croissance des autres pays émergents en raison de leurs liens commerciaux et financiers avec les trois puissances économiques. Les enjeux géopolitiques au Moyen-Orient et le désordre induit par les révoltes arabes ne sont pas en reste et risquent d'exacerber la morosité économique actuelle avant de se traduire par un effondrement. Pour l'analyste, les décideurs disposent de moins de marges de manœuvres qu'au début de la crise financière. «En comparaison de la période 2008-2009, lorsque les décideurs politiques avaient toute liberté d'action, les autorités monétaires et budgétaires ont épuisé une grande partie de leurs cartouches (ou plus cyniquement il ne leur reste plus de lapin à tirer de leur chapeau). La marge de manœuvre en matière de politique monétaire est limitée par des taux d'intérêt proches de zéro et des phases répétées de relâchement monétaire. Ce ne sont plus des problèmes de liquidités qui menacent, mais une crise du crédit et de la solvabilité.» En d'autres termes, les dés sont jetés et l'ordre économique mondial a atteint ses limites et son seuil de compétence. Les solutions techniques de replâtrage ne fonctionnent plus. Un nouvel ordre économique mondial s'impose. A. G.