Sans gouvernement, le Liban plonge dans une situation politique des plus critique. La démission du Premier ministre Najib Mikati, dans l'air du temps depuis plusieurs mois, pourrait bien faire éclater la position de «réserve» prônée actuellement par l'Etat libanais par rapport à la tragédie syrienne. Depuis juin 2011, Najib Mikati ce sunnite de 57 ans était à la tête d'un gouvernement venu également pour faire fonctionner un pays tiraillé de toutes parts. Les partis libanais pro-occidentaux et dans l'orbite saoudienne n'ont eu de cesse de mettre des battons dans les roues de ce gouvernement. L'objectif premier était d'affaiblir la coalition gouvernementale composée du Hezbollah et du parti de Michel Aoun. Aujourd'hui, retour à la case départ. Le pays se retrouve dépourvu de gouvernement et sans alternative. Najib Mikati a motivé sa démission par deux points de blocage : la reconduction du chef de l'un des services de sécurité du pays et la préparation des élections législatives prévues en juin. Chargé de juger les assassins de l'ancien Premier ministre, Rafic Hariri, tué en 2005 à Beyrouth, le tribunal spécial libanais le fameux TSL, a étonné les Libanais en désignant quatre membres du Hezbollah qui seraient impliqués dans le crime. Mais, sentant le coup fourré le parti de Nassrallah refuse de les livrer à un tribunal politisé et sous orbite occidental. Ainsi donc, aujourd'hui c'est la reconduction d'un pion «important» du dispositif sécuritaire libanais qui serait derrière la démission de Najib Mikati. Ce dernier tenait en effet à ce que le général Ashraf Rifi, un sunnite proche du camp Hariri, garde son poste à la tête des Forces de sécurité intérieure FSI et du service de renseignements. Depuis 2005, les FSI ont livré des «informations» au Tribunal spécial dans l'affaire Hariri, dans un rôle loin de la neutralité affichée. Ashraf Rifi est ainsi devenu suspect aux yeux du Hezbollah, qui refuse de le voir garder son poste au-delà de 60 ans, âge de la retraite. D'autant plus que la loi libanaise l'interdit. Sous influence de la France et des Etats-Unis, Rifi, et avant lui le général Wissam al-Hassan, semblaient n'avoir comme mission que de chercher des noises au Hezbollah. Aussi dans leur bras de fer avec Najib Mikati, le Hezbollah et ses alliés chrétiens, refusaient de nommer les membres de la commission de surveillance des élections. Conséquence de cette démission: la consultation électorale, que la France et les Etats-Unis entendent influer, pourrait bien être reportée. Dans un contexte exacerbé par la guerre faisant rage en Syrie, le vide institutionnel risque d'être exploité par les jusqu'au-boutistes. La ville de Tripoli au nord du pays vit des affrontements meurtriers opposant quasi quotidiennement les partisans des deux bords. Présenté comme proche du Hezbollah lors de sa nomination, après la chute en janvier 2011 du cabinet de Saad Hariri, Najib Mikati n'a pas pu se départir de l'influence du bloc du 14 mars. Et la nomination d'un successeur s'annonce délicate. Cette nouvelle crise politique est d'autant plus critique que la tension grandit, les incidents armés se multiplient, nourris par le conflit syrien. En l'absence d'un accord sur les élections, le pays du cèdre risque un grand dérapage et le réveil des vieux démons. Pour l'heure la poursuite de la guerre civile en Syrie a gelé la scène politique libanaise, particulièrement clivée. La position de «distanciation» prônée officiellement par le Liban tient à un fil. Un immobilisme lourd de conséquences sur les institutions du pays devenues ingouvernables. Le Parlement n'a plus voté de budget depuis 2005, date du retrait des troupes syriennes du Liban. C'est dire le poids visible ou caché de la Syrie, ce voisin pas comme les autres. La tenue des élections législatives prévues pour juin est menacée. La classe politique ne parvient pas à s'entendre sur une loi électorale pour organiser le scrutin. La perspective d'un nouvel affaiblissement de l'Etat en cas de vide institutionnel suscite les inquiétudes les plus diverses. Mais comme d'habitude au Liban chaque camp se recroqueville sur lui-même et attend la tempête. Le Courant du futur de Saad Hariri semble débordé par des mouvements djihadistes salafistes qui s'engagent militairement auprès de l'opposition armée syrienne, d'une part, et affichent de plus en plus ouvertement leur volonté d'attirer le Liban dans le bourbier du voisin. Avec toutes les conséquences désastreuses qui pourraient en découler. De son côté le Hezbollah est accusé de venir en aide au régime syrien. Mais le parti de Nassrallah, résiste placidement, coutumier des accusations des partis pro-occidentaux et sous orbite saoudien. Dans un Liban fragilisé par la nouvelle donne syrienne le futur s'annonce délicat. Contestation sociale, affrontements armés à Tripoli, tensions à la frontière avec la Syrie ; les ingrédients de la déflagration sont plus que jamais réunis. M. B.